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Mais une fois que l’Arian s’était laissé persuader que l’homme qui le sollicitait avait bien toutes les qualités requises, et qu’après avoir fait ses conditions il s’était engagé avec lui, aussitôt un état tout nouveau intervenait entre eux (1)[1]. L’Arian libre, l’Arian souverain absolu de son odel, abdiquant pour un temps donné l’usage de la plupart de ses prérogatives, devenait, sauf le respect des engagements réciproques, l’homme de son chef, dont l’autorité pouvait aller jusqu’à disposer de sa vie, s’il manquait aux devoirs qu’il avait contractés.

L’expédition commençait ; elle était heureuse. En principe, le butin appartenait tout entier au chef, mais avec l’obligation stricte et rigoureuse de le partager avec ses compagnons, non pas seulement dans la mesure des promesses échangées, mais, comme je viens de le dire, avec une prodigalité extrême. Manquer à cette loi eût été aussi dangereux qu’impolitique. Les chants Scandinaves appellent avec intention le chef de guerre illustre « l’ennemi de l’or, » parce qu’il n’en doit pas garder ; « l’hôte des héros, » parce qu’il doit mettre son orgueil à les loger dans sa demeure, à les réunir à sa table, à leur prodiguer les longs banquets, les amusements de toute espèce et les riches présents. Ce sont là les moyens, et les seuls, de conserver leur amitié, de s’assurer leur appui, et partant de maintenir sa renommée avec sa puissance. Un chef avare et égoïste est aussitôt abandonné de tout le monde, et il rentre dans le néant (2)[2].

Je viens de montrer là quel emploi le général vainqueur pouvait faire du butin mobilier, de l’argent, des armes, des chevaux, des esclaves. Mais lorsque, avec ces avantages, il y

(1) Le droit de l’homme libre de choisir son chef se conserva très longtemps dans les lois anglo-saxonnes. C’est ce que les commentateurs du Domesday-Book appellent Commendatio. (Palsgrave, Rise and Progress of the Englisch Commonwealth, 1. 1, p. 15.)

(2) Il y a similitude parfaite entre les vertus que l’on exigeait d’un chef de guerre et l’idéal du chef de famille arian-hindou, comme le décrit le Ramayana : « Capi di famiglia que vissero casti colle lor consorti, coloro che donarono con larghezze vacche, oro, alimienti, e terre, quelli che diedero altrui sicuranza e coloro che furon veridici. » (Gorresio, ouvr. cité, t. VI, p. 394.)


  1. (1) Le droit de l’homme libre de choisir son chef se conserva très longtemps dans les lois anglo-saxonnes. C’est ce que les commentateurs du Domesday-Book appellent Commendatio. (Palsgrave, Rise and Progress of the Englisch Commonwealth, 1. 1, p. 15.)
  2. (2) Il y a similitude parfaite entre les vertus que l’on exigeait d’un chef de guerre et l’idéal du chef de famille arian-hindou, comme le décrit le Ramayana : « Capi di famiglia que vissero casti colle lor consorti, coloro che donarono con larghezze vacche, oro, alimienti, e terre, quelli che diedero altrui sicuranza e coloro che furon veridici. » (Gorresio, ouvr. cité, t. VI, p. 394.)