Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étroit. L’idée répugnait aux traditions libérales des Arians. L’esprit sémitique, de son côté, n’avait pas de fortes raisons d’y tenir : il était habitué aux formes républicaines en vigueur sur la côte de Chanaan. Incapable d’ailleurs de se plier à la régularité de l’hérédité dynastique (1)[1], il ne souhaitait pas une institution qui, chez lui, n’avait jamais puisé son origine dans le choix libre du peuple, mais toujours dans la conquête et la violence, et, souvent, dans la violence étrangère. Je ne fais d’exception que pour le royaume juif. On imagina donc, en Grèce, de créer une personne fictive, la Patrie (2)[2], et on ordonna au citoyen, par tout ce que l’homme peut imaginer de plus sacré et de plus redoutable, par la loi, le préjugé, le prestige de l’opinion publique, de sacrifier à cette abstraction ses goûts, ses idées, ses habitudes, jusqu’à ses relations les plus intimes, jusqu’à ses affections les plus naturelles, et cette abnégation de tous les jours, de tous les instants, ne fut que la menue monnaie de cette autre obligation qui consistait à donner, sur un signe, sans se permettre un murmure, sa dignité, sa fortune et sa vie, aussitôt que cette même patrie était censée vous les demander.

L’individu, la patrie l’enlevait à l’éducation domestique pour le livrer nu, dans un gymnase, aux immondes convoitises de maîtres choisis par elle. Devenu homme, elle le mariait quand elle voulait. Quand elle voulait aussi, elle lui reprenait sa femme pour la transmettre à un autre, ou lui attribuait des enfants qui n’étaient pas de lui, ou encore ses enfants propres, elle les envoyait continuer une famille près de s’éteindre.



(1) « The heroic notion of the unity of the state being centred in the royal line was already shaken. Many of the less potent nobles saw, in the greater distribution of authority, a pathway opened to their ambition. » (Mc. Cullagh, t. I, p. 21.)

(2) « In the days of the monarchy the word which subsequently was used to denote a city (πόλις) and finally a state, signified no mote than the castle of the prince. » (Mc. Cullagh, t. I, p. 22.) — De même, à notre époque féodale, on n’employait guère le mot patrie, qui ne nous est vraiment revenu que lorsque les couches gallo-romaines ont relevé la tête et joué un rôle dans la politique. C’est avec leur triomphe que le patriotisme a recommencé à être une vertu.

  1. (1) « The heroic notion of the unity of the state being centred in the royal line was already shaken. Many of the less potent nobles saw, in the greater distribution of authority, a pathway opened to their ambition. » (Mc. Cullagh, t. I, p. 21.)
  2. (2) « In the days of the monarchy the word which subsequently was used to denote a city (πόλις) and finally a state, signified no mote than the castle of the prince. » (Mc. Cullagh, t. I, p. 22.) — De même, à notre époque féodale, on n’employait guère le mot patrie, qui ne nous est vraiment revenu que lorsque les couches gallo-romaines ont relevé la tête et joué un rôle dans la politique. C’est avec leur triomphe que le patriotisme a recommencé à être une vertu.