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faible et trop douce pour exciter de bien longues colères chez les hommes qui l’envahissaient, sa facilité à accepter le rôle secondaire dans les nouveaux États fondés par la conquête, son naturel laborieux qui la rendait aussi utile à exploiter qu’elle était aisée à régir, toutes ces humbles facultés lui faisaient conserver la propriété du sol, en lui en laissant perdre le haut domaine. Les plus féroces agresseurs repoussaient bien vite la pensée de créer inutilement des solitudes qui ne leur auraient rien rapporté. Après avoir envoyé quelques milliers de captifs sur les marchés lointains de la Grèce, de l’Asie, des colonies italiotes, un moment arrivait où la soumission de leurs vaincus lassait leur furie[1]. Ils prenaient en pitié ce travailleur débonnaire qui opposait si peu de résistance, et désormais ils le laissaient cultiver ses champs. Bientôt la fécondité du Slave avait comblé les vides de la population. L’ancien habitant était plus solidement établi que jamais sur le sol qui lui était laissé, et, pour peu que ses souverains conservassent les faveurs de la victoire, il gagnait du terrain avec eux  ; car il poussait l’obéissance jusqu’au point d’être intrépide à leur profit, quand on lui commandait une telle vertu.

Ainsi, indissolublement mariés à la terre d’où rien ne pouvait les arracher, les Slaves occupaient dans l’orient de l’Europe le même emploi d’influence muette et latente, mais irrésistible, que remplissaient en Asie les masses sémitiques. Ils formaient, comme ces dernières, le marais stagnant où s’engloutissaient, après quelques heures de triomphe, toutes les supériorités ethniques. Immobile comme la mort, actif comme elle, ce marais dévorait dans ses eaux dormantes les principes les plus chauds et les plus généreux, sans en éprouver d’autre modification, quant à lui-même, que çà et là une élévation relative du fond, mais pour en revenir finalement à une corruption générale plus compliquée.

Cette grande fraction métisse de la famille humaine, ainsi prolifique, ainsi patiente devant l’adversité, ainsi obstinée dans son amour utilitaire du sol, ainsi attentive à tous les


  1. Schaff., ouvr. cité, t. I, p. 211.