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narrateurs de ses misères n’éprouvent généralement aucun scrupule de prononcer que l’un est vaillant et que l’autre ne l’est pas. Lorsqu’une nation, ou plutôt une race, s’adonne exclusivement aux travaux de la paix, et qu’une autre, déprédatrice et toujours armée, fait de la guerre son métier unique, les mêmes juges proclament hardiment que la première est lâche et amollie, la seconde virile. Ce sont là des arrêts rendus à la légère, et qui donnent aux conséquences qu’on en tire autant de maladresse que d’inexactitude.

Le paysan de la Beauce, plein d’aversion pour le service militaire et d’amour pour sa charrue, n’est certes pas le rejeton d’une souche héroïque, mais il est, à coup sûr, plus réellement brave que l’Arabe guerrier des environs du Jourdain. On l’amènera facilement, ou, pour mieux dire, il s’amènera lui-même, en un besoin, à faire des actions d’une intrépidité admirable pour défendre ses foyers, et, une fois enrégimenté, son drapeau, tandis que l’autre n’attaquera que rarement à force égale, n’affrontera que le danger le plus petit, et ce petit danger, il s’y soustraira même sans honte, en répétant à part lui l’adage favori du guerrier asiatique : « Se battre, ce n’est pas se faire tuer. » Cependant cet homme circonspect fait profession presque exclusive de manier le fusil. A son avis, c’est là le seul lot convenant à un homme, ce qui ne l’empêche pas, depuis des siècles, de se laisser subjuguer par qui veut s’en donner la peine.

Tous les peuples sont braves, en ce sens qu’ils sont tous également capables, sous une direction appropriée à leurs instincts, d’affronter certains périls et de s’exposer à la mort. Le courage, pris dans ses effets, n’est le caractère particulier d’aucune race. Il existe dans toutes les parties du monde, et c’est un tort que de le considérer comme la conséquence de l’énergie, encore plus de le confondre avec l’énergie elle-même : il en diffère essentiellement.

Ce n’est pas que l’énergie ne le produise aussi, mais d’une façon bien reconnaissable. Surtout cette faculté est loin de n’avoir que cette manière de se manifester. En conséquence, si toutes les races sont braves, toutes ne sont pas énergiques,