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aux temps heureux de leur vigoureuse enfance où les fonctions les plus diverses se réunissaient sur les mêmes têtes, le peuple étant l’armée, l’armée étant le peuple. Il n’y a pas trop à s’applaudir, toutefois, de ces faux-semblants d’adolescence au sein de la caducité ; car, parce que l’armée vaut mieux que le reste, elle a pour premier devoir de contenir, de mater, non plus les ennemis de la patrie, mais ses membres rebelles, qui sont les masses.

Dans l’empire romain, les légions furent ainsi la seule cause de salut qui empêchât la civilisation de s’engloutir trop vite au milieu des convulsions sans cesse déterminées par le désordre ethnique. Ce furent elles seules qui fournirent les administrateurs de premier rang, les généraux capables de maintenir le bon ordre, d’étouffer les révoltes, de défendre les frontières, et, bref, ces généraux étaient la pépinière d’où sortaient les empereurs, la plupart assurément moins considérables encore par leur dignité que par leurs talents ou leur caractère. La raison en est transparente et facile à pénétrer. Sortis presque tous des rangs inférieurs de la milice, ils étaient, par la vertu de quelque grande qualité, montés de grade en grade, avaient dépassé le niveau commun par quelque heureux effort, et, portés aux alentours du dernier et plus sublime degré, s’étaient mesurés avant de le franchir avec des rivaux dignes d’eux et sortis des mêmes épreuves. Il y eut des exceptions à la règle ; mais je tiens le catalogue impérial sous mes yeux, et je ne me laisserai pas dire que la majorité des noms ne confirme pas ce que j’avance.

L’armée était donc non seulement le dernier refuge, le dernier appui, l’unique flambeau, l’âme de la société, c’était elle encore qui, seule, fournissait les guides suprêmes, et généralement les donnait bons. Par l’excellence du principe éternel sur lequel repose toute organisation militaire, principe qui n’est d’ailleurs que l’imitation imparfaite de cet ordre admirable résultant de l’homogénéité des races, l’armée faisait tourner à l’avantage général le mérite de ses supériorités de premier rang, et contenait l’action des autres d’une manière encore profitable par l’influence de la hiérarchie et de la discipline.