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les camps. Je ne saurais faire de celle-là, au point de vue social, que des éloges (1)[1].

En effet, la nécessité unique, pour me servir de l’expression d’un antique chant des Celtes (2)[2], n’admet pour les armées qu’un seul mode d’organisation, le classement hiérarchique et l’obéissance. Dans quelque état d’anarchie ethnique que se trouve un corps social, dès qu’une armée existe, il faut sans biaiser lui laisser cette règle invariable. Pour ce qui concerne le reste de l’organisme politique, tout peut être en question. On y doutera de tout ; on essayera, raillera, conspuera tout ; mais, quant à l’armée, elle restera isolée au milieu de l’État, peut-être mauvaise quant à son but principal, mais toujours plus énergique que son entourage, immobile, comme un peuple facticement homogène. Un jour, elle sera la seule partie saine et partant agissante de la nation (3)[3]. C’est dire qu’après beaucoup de mouvement, de cris, de plaintes, de chants de triomphe étouffés bientôt sous les débris de l’édifice légal, qui, sans cesse relevé, sans cesse s’écroule, l’armée finit par éclipser le reste, et que les masses peuvent se croire encore quelquefois



(1) On m’objectera les perturbations que les révoltes militaires amenèrent souvent dans l’empire. Je répondrai que l’armée, pouvant tout, abusa souvent, et que c’est là un inconvénient de l’omnipotence ; mais je renvoie au spectacle même de ces commotions, par exemple, aux luttes sanglantes des légions de Germanie contre les Flaviens dans Rome, pour qu’on ait à se convaincre que les soldats étaient, malgré leur brutalité, bien supérieurs en toute manière à la population civile. Je n’en veux pour gage que leur bizarre fidélité à Vitellius. (Tac., Hist., III.)

(2) La Villemarqué, Chants populaires de la Bretagne, t. I, p. 1.

(3) Toutefois l’armée n’aura de mérite réel, outre une plus grande subordination, ce qui est, après tout, une valeur négative, tout indispensable qu’elle soit, que si elle est composée de meilleurs éléments ethniques que le corps social auquel elle prête son appui. C’est précisément ce qui arriva pour les légions de Rome, ainsi que je l’expose en lieu utile. De même, en notre temps, les troupes mantchoues sont certainement supérieures aux populations chinoises ; mais, comme elles sont aussi recrutées un peu trop parmi ces populations, leur mérite militaire laisse beaucoup à désirer. Ce qu’il y a d’excellent dans la loi des camps ne saurait neutraliser que dans une certaine mesure les mauvaises conséquences des mélanges.

  1. (1) On m’objectera les perturbations que les révoltes militaires amenèrent souvent dans l’empire. Je répondrai que l’armée, pouvant tout, abusa souvent, et que c’est là un inconvénient de l’omnipotence ; mais je renvoie au spectacle même de ces commotions, par exemple, aux luttes sanglantes des légions de Germanie contre les Flaviens dans Rome, pour qu’on ait à se convaincre que les soldats étaient, malgré leur brutalité, bien supérieurs en toute manière à la population civile. Je n’en veux pour gage que leur bizarre fidélité à Vitellius. (Tac., Hist., III.)
  2. (2) La Villemarqué, Chants populaires de la Bretagne, t. I, p. 1.
  3. (3) Toutefois l’armée n’aura de mérite réel, outre une plus grande subordination, ce qui est, après tout, une valeur négative, tout indispensable qu’elle soit, que si elle est composée de meilleurs éléments ethniques que le corps social auquel elle prête son appui. C’est précisément ce qui arriva pour les légions de Rome, ainsi que je l’expose en lieu utile. De même, en notre temps, les troupes mantchoues sont certainement supérieures aux populations chinoises ; mais, comme elles sont aussi recrutées un peu trop parmi ces populations, leur mérite militaire laisse beaucoup à désirer. Ce qu’il y a d’excellent dans la loi des camps ne saurait neutraliser que dans une certaine mesure les mauvaises conséquences des mélanges.