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l’État possédait dans sa ville principale une cour en miniature où le pouvoir, tout délégué qu’il fût, prenait les allures d’une autorité suprême et absolue, disposait de tout en conséquence, et interprétait les lois mêmes, allant jusqu’à confisquer l’impôt, sans souci du trésor. Je ne nie pas que la foudre du dieu mortel, du héros souverain, n’éclatât quelquefois sur la tête des audacieux ; pourtant, dans la plupart des cas, ce n’était qu’après une longue tolérance d’où naissait l’excuse de l’abus. D’ailleurs, il n’était pas extrêmement rare que le magistrat récalcitrant, renvoyant la foudre d’où elle était partie et se déclarant empereur lui-même, ne démontrât le ridicule de ce fantôme d’unité monarchique qui cherchait, sans y parvenir, à embrasser et à féconder un monde soumis par son seul accablement. Ainsi, je ne saurais rien accorder de tout ce qu’on réclame désormais de sympathie théorique et de louanges pour l’époque impériale. Je me borne à être exact ; c’est pourquoi je termine en avouant que, si le régime inauguré par Auguste ne fut en lui-même ni beau, ni fécond, ni louable, il eut un genre de supériorité bien préférable encore : c’est qu’en face des populations multiples tombées au pouvoir des aigles, il était le seul possible. Tous les efforts, il les fit pour gouverner avec raison et honneur les masses qui lui étaient confiées. Il échoua. La faute n’en fut pas à lui : qu’elle retombe sur ces populations elles-mêmes.

Si le gouvernement fit sa religion d’une formule théologique sans valeur, d’un mot complètement vide de sens, je l’en absous. Il y avait été contraint par la nécessité de rester impartial entre mille croyances. Si, abolissant dans ses tribunaux d’appel les législations locales, il leur substitua une jurisprudence éclectique dont les trois bases étaient la servilité, l’athéisme et l’équité approximative, c’est qu’il s’était senti dominé par la même nécessité de nivellement. S’il avait, enfin, soumis ses procédés d’administration à une balance compliquée, relâchée, mal équilibrée entre la mollesse et la violence, c’est que, dans l’intelligence des masses sujettes, il n’avait pas trouvé de secours pour étayer un régime plus noble. Nulle part n’existait désormais la moindre trace d’aucune compréhension des devoirs