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et, comme rien ne se prend plus vite que les mœurs de la servitude, il devint bientôt impossible aux gens du fisc d’obtenir le payement des impôts sans recourir à des violences. Les curiales ne tiraient rien de leurs administrés les plus solvables qu’en les faisant assommer, et, à leur tour, ils ne lâchaient guère que sur reçu de coups de verges. Morale particulière très comprise en Orient, où elle forme une sorte de point d’honneur. Même en temps ordinaire et sous des prétextes d’utilité locale, les curiales en arrivèrent à dépouiller leurs concitoyens, et les magistrats impériaux les en laissaient libres, trop heureux de savoir où trouver l’argent au jour du besoin.

Jusqu’ici, j’ai admis très bénévolement que les gens de l’empereur se tenaient immaculés de la corruption générale ; mais la supposition était gratuite. Ces hommes avaient tout autant de rapacité que les anciens proconsuls de la république. De plus, ils étaient bien autrement nombreux, et, quand les provinces épuisées prétendaient réclamer auprès du maître commun, on peut juger si la chose était facile. Tenant l’administration des postes impériales, dirigeant une police nombreuse et active, ayant seuls le droit d’accorder des passeports, les tyrans locaux rendaient presque impossible le départ de mandataires accusateurs. Si toutes ces précautions préalables se trouvaient déjouées, que venaient faire dans le palais du prince d’obscurs provinciaux, desservis par tous les amis, par les créatures, les protecteurs de leur ennemi ? Telle fut l’administration de la Rome impériale, et, bien que je concède aisément que tout le monde y jouissait du titre de citoyen, que l’empire était gouverné par un chef unique, et que les villes, maîtresses de leur régime intérieur, pouvaient s’intituler à leur gré autonomes, frapper monnaie, se dresser des statues et tout ce qu’on voudra, je n’en comprends pas davantage le bien qui en résultait pour personne (1)[1].



(1) Les magistratures locales étaient, en principe, dispensatrices suprêmes du droit sur tout le territoire ; mais, en fait, elles n’exerçaient que le jugement en première instance ; l’appel se faisait aux officiers impériaux, et même elles n’appliquaient leur juridiction que dans les affaires minimes ne dépassant pas une certaine somme. Les

  1. (1) Les magistratures locales étaient, en principe, dispensatrices suprêmes du droit sur tout le territoire ; mais, en fait, elles n’exerçaient que le jugement en première instance ; l’appel se faisait aux officiers impériaux, et même elles n’appliquaient leur juridiction que dans les affaires minimes ne dépassant pas une certaine somme. Les contestations entre les cités, entre les autorités d'une même ville, le jugement au criminel, etc., ressortissaient aux tribunaux du souverain. (Savigny, Geschichte des rœmischen Rechtes im Mittelalter, t. I, p. 35 et seqq.)