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curiales, et, tyrannie plus monstrueuse au milieu de la ferveur passionnée du christianisme naissant, on vit, au grand mépris de la conscience, la loi empêcher ces misérables d’entrer dans les ordres sacrés, toujours parce que le fisc, tenant en eux le meilleur de ses gages, ne voulait pas les lâcher (1)[1].

De pareilles extrémités ne sauraient se produire chez des nations où un génie ethnique un peu noble souffle encore ses inspirations aux multitudes. La honte en retombe tout entière, non pas sur les gouvernements, que l’avilissement des peuples contraint d’y avoir recours, mais sur ces peuples dégénérés (2)[2]. Ceux-ci s’accommodaient de vivre sous ce joug. On connut à la vérité, dans le monde romain, quelques insurrections partielles, causées par l’excès des maux ; mais ces bagauderies, stimulées par la chair en révolte et ne s’appuyant sur rien de généreux, ne furent toujours qu’un surcroît de fléaux, qu’une occasion de pillage, de massacres, de viols, d’incendie. Les majorités n’en apprenaient l’explosion qu’avec une légitime horreur, et, la révolte une fois étouffée dans le sang, chacun s’en félicitait, et avait raison de le faire. Bientôt, n’y songeant plus, on continuait à souffrir le plus patiemment possible ;



(1) Tacite a pu mettre avec toute vérité ces mots dans la bouche d’Arminius : « Aliis gentibus, ignorantia imperii romani, inexperta esse supplicia, nescia tributa. » (Ann., 1. I, 59.)

(2) Au milieu de ses déclamations, toujours défavorables à la puissance suprême, Tacite se laisse aller une fois à un singulier aveu. Il raconte qu’après avoir épié les délibérations du sénat, Tibère allait s’asseoir dans un angle du prétoire et assistait aux jugements ; puis il ajoute : « Bien des arrêts, par l’effet de sa présence, furent rendus contrairement aux intrigues, aux prières des puissants ; mais, tandis que l’équité était sauve, la liberté se perdait. » (Ann., I, 75.) La liberté de quoi ? la liberté de faire pendre l’innocent et de ruiner le pauvre ? Quand une nation en est au point des Romains de l’empire, le premier de ses besoins, c’est un maître ; un maître seul peut lui éviter des convulsions incessantes. Le génie de Tibère suppléait à la honteuse ineptie du sénat et du peuple ; sa férocité était à tout le moins excusable par l’abjection sanguinaire de l’un et de l’autre. Ce qu’il tuait valait à peine la pitié, et il eût sans doute ménagé davantage des hommes qui n’eussent pas mérité de sa part cette réflexion empreinte du plus profond dégoût, et qui lui échappait chaque fois qu’il sortait du sénat : « O homines ad servitutem paratos ! » (Tac., Ann., III, 65.)


  1. (1) Tacite a pu mettre avec toute vérité ces mots dans la bouche d’Arminius : « Aliis gentibus, ignorantia imperii romani, inexperta esse supplicia, nescia tributa. » (Ann., 1. I, 59.)
  2. (2) Au milieu de ses déclamations, toujours défavorables à la puissance suprême, Tacite se laisse aller une fois à un singulier aveu. Il raconte qu’après avoir épié les délibérations du sénat, Tibère allait s’asseoir dans un angle du prétoire et assistait aux jugements ; puis il ajoute : « Bien des arrêts, par l’effet de sa présence, furent rendus contrairement aux intrigues, aux prières des puissants ; mais, tandis que l’équité était sauve, la liberté se perdait. » (Ann., I, 75.) La liberté de quoi ? la liberté de faire pendre l’innocent et de ruiner le pauvre ? Quand une nation en est au point des Romains de l’empire, le premier de ses besoins, c’est un maître ; un maître seul peut lui éviter des convulsions incessantes. Le génie de Tibère suppléait à la honteuse ineptie du sénat et du peuple ; sa férocité était à tout le moins excusable par l’abjection sanguinaire de l’un et de l’autre. Ce qu’il tuait valait à peine la pitié, et il eût sans doute ménagé davantage des hommes qui n’eussent pas mérité de sa part cette réflexion empreinte du plus profond dégoût, et qui lui échappait chaque fois qu’il sortait du sénat : « O homines ad servitutem paratos ! » (Tac., Ann., III, 65.)