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mieux préférer une existence moins en vue, mais plus calme. Il s’en trouva qui émigrèrent et allèrent s’établir, simples citoyens, dans d’autres villes. Quelques-uns entrèrent dans la milice, et, quand le christianisme fut devenu religion légale, beaucoup se firent prêtres.

Mais ce n’était pas le compte du fisc. L’empereur rendit donc des lois pour dénier aux curiales, sous les peines les plus sévères, le droit d’abandonner jamais le lieu de leurs fonctions. Peut-être était-ce la première fois que des malheureux étaient cloués, de par la loi, au pilori des grandeurs (1)[1]. Puis, de même que, pour abaisser et avilir le sénat de Rome, on avait interdit à ses membres le métier de la guerre, de même, pour conserver au fisc les sénateurs provinciaux et l’exploitation de leurs fortunes, on défendit à ceux-là de se faire soldats, et par extension de quitter la profession de leurs pères, et, par extension encore, la même loi fut appliquée aux autres citoyens de l’empire ; de sorte que, par le plus singulier concours de convenances politiques, le monde romain, qui n’avait plus de races différentes à isoler les unes des autres, fit ce qu’avaient décrété le brahmanisme et le sacerdoce égyptien ; il prétendit créer des castes héréditaires, lui, le vrai génie de la confusion ! Mais il est des moments où la nécessité du salut force les États comme les individus aux plus monstrueuses inconséquences.

Voilà les curiales qui ne peuvent être ni soldats, ni marchands, ni grammairiens, ni marins ; ils ne peuvent être que



(1) Voir, pour la situation quasi-aristocratique de l’ ordo decurionum sous les empereurs, Savigny, Geschichte des rœmischen Rechtes im Mittelalter, t. I, p. 22 et seqq. Au même lieu, le détail de la vie misérable du curiale. L’auteur que je cite est d’avis que rien ne peut donner une plus juste idée de la décomposition intérieure de l’État sous les principats chrétiens que les constitutions théodosiennes ayant trait aux curies municipales. Non seulement les curiales ne voulaient pas l’être, mais ils préféraient même le servage, et il fallait une loi pour leur fermer ce refuge. On en vint même à cette étrange ressource de condamner des gens poursuivis pour crime à l’état de décurions. À la vérité, un décret impérial restreignit l’usage de cette singulière pénalité au châtiment des ecclésiastiques indignes, et des militaires qui, par lâcheté, s’étaient soustraits aux ordres de leurs chefs. (Savigny, loc. cit.)

  1. (1) Voir, pour la situation quasi-aristocratique de l’ ordo decurionum sous les empereurs, Savigny, Geschichte des rœmischen Rechtes im Mittelalter, t. I, p. 22 et seqq. Au même lieu, le détail de la vie misérable du curiale. L’auteur que je cite est d’avis que rien ne peut donner une plus juste idée de la décomposition intérieure de l’État sous les principats chrétiens que les constitutions théodosiennes ayant trait aux curies municipales. Non seulement les curiales ne voulaient pas l’être, mais ils préféraient même le servage, et il fallait une loi pour leur fermer ce refuge. On en vint même à cette étrange ressource de condamner des gens poursuivis pour crime à l’état de décurions. À la vérité, un décret impérial restreignit l’usage de cette singulière pénalité au châtiment des ecclésiastiques indignes, et des militaires qui, par lâcheté, s’étaient soustraits aux ordres de leurs chefs. (Savigny, loc. cit.)