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Les détracteurs de la période impériale font remarquer, de leur côté, que, sur toute la face du monde romain depuis Auguste, aucune individualité illustre ne ressort plus. Tout est effacé ; plus de grandeur honorée, plus de bassesse flétrie ; tout vit en silence. Les anciennes gloires ne passionnent que les déclamateurs rhétoriciens à l’heure des classes ; elles n’appartiennent plus à personne, et les têtes vides seulement peuvent prendre feu pour elles. Plus de grandes familles ; toutes sont éteintes, et celles qui, occupant leur place, essayent de jouer leur rôle, sorties ce matin de la tourbe, y rentreront ce soir (1)[1]. Puis cette antique liberté patricienne qui, avec ses inconvénients, avait aussi ses beaux et nobles côtés, c’en est fini d’elle. Personne n’y songe, et ceux-là qui, dans leurs livres, balancent encore devant son souvenir un encens théorique, recherchent, en bons courtisans, l’amitié des puissants de l’époque, et seraient désolés qu’on prît au mot leurs regrets. En même temps, les nationalités quittent leurs insignes. Elles vont les unes chez les autres porter le désordre de toutes les notions sociales, elles ne croient plus en elles-mêmes. Ce qu’elles ont gardé de personnel, c’est la soif d’empêcher l’une d’entre elles de se soustraire à la décadence générale.

Avec l’oubli de la race, avec l’extinction des maisons illustres dont les exemples guidaient jadis les multitudes, avec le syncrétisme des théologies, sont venus en foule, non pas les grands vices personnels, partage de tous les temps, mais cet universel relâchement de la morale ordinaire, cette incertitude de tous les principes, ce détachement de toutes les individualités de la chose publique, ce scepticisme tantôt riant, tantôt morose, indifféremment porté sur ce qui n’est pas d’intérêt ou



conquises se relevèrent quelque peu, puis enfin tout s’abîma ensemble dans un affaiblissement incurable. Pour Rome même, cet énervement est de toute évidence... » (T. I, p. 31.)

(1) Am. Thierry, la Gaule sous l’administr. rom. Introd., t. I, p. 181 : « Le parti des idées républicaines et aristocratiques n’eut même bientôt plus pour chefs que des hommes nouveaux ; ni Corbulon, ni Paetus Thraséas, ni Agricola, ni Helvidius, n’appartinrent à l’ancien patriciat. Dès le second siècle, et surtout au troisième, les familles sénatoriales étaient pour la plupart étrangères à l’Italie. »


  1. (1) Am. Thierry, la Gaule sous l’administr. rom. Introd., t. I, p. 181 : « Le parti des idées républicaines et aristocratiques n’eut même bientôt plus pour chefs que des hommes nouveaux ; ni Corbulon, ni Paetus Thraséas, ni Agricola, ni Helvidius, n’appartinrent à l’ancien patriciat. Dès le second siècle, et surtout au troisième, les familles sénatoriales étaient pour la plupart étrangères à l’Italie. »