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restait fort que les lettres romaines obtinrent leurs derniers succès. Je nomme donc cette même Afrique, cette même Carthage, sous le gouvernement des rois vandales (1)[1].

Ainsi, Rome ne fut jamais, ni sous l’empire, ni même sous la république, le sanctuaire des muses latines. Elle le sentait si bien que, dans ses propres murailles, elle n’accordait à sa langue naturelle aucune préférence. Pour instruite la population urbaine, le fisc impérial entretenait des grammairiens latins, mais aussi des grammairiens grecs. Trois rhéteurs latins, mais cinq grecs, et, en même temps, comme les gens de lettres de langue latine trouvaient des honneurs et un salaire et un public partout ailleurs qu’en Italie, de même les écrivains helléniques étaient attirés et retenus à Rome par des avantages pareils : témoin Plutarque de Chéronée, Arrien de Nicomédie, Lucien de Samosate, Hérode Atticus de Marathon, Pausanias de Lydie, qui, tous, vinrent composer leurs ouvrages et s’illustrer au pied du Capitole.

Ainsi, à chaque pas que nous faisons, nous nous enfonçons davantage dans les preuves accumulées de cette vérité que Rome n’avait rien en propre, ni religion, ni lois, ni langue, ni littérature, ni même préséance sérieuse et effective, et c’est ce que de nos jours on a proposé de considérer sous un point de vue favorable et d’approuver comme une nouveauté heureuse pour la civilisation. Tout dépend de ce qu’on aime et cherche, de ce qu’on blâme et réprouve (2)[2].



(1) Meyer, Lateinische Anthologie, t. II.

(2) Savigny (Geschichte des rœmischen Rechtes im Mittelalter) a très bien exprimé l’opinion ancienne en la raisonnant : « Lorsque Rome était petite, dit cet homme éminent, et qu’elle rangeait sous sa dépendance quelques cités italiotes par l’octroi de son droit civique, on pouvait supposer entre ces dernières et la ville conquérante une sorte d’égalité, et c’est sur cette notion que reposa la constitution libre de ces villes. Mais, lorsque l’empire se fut étendu sur trois parties du monde, cette égalité cessa complètement, de sorte que la liberté locale dut diminuer. Vint ensuite la pression de l’administration impériale, qui, en imposant partout un même niveau d’obéissance, fit disparaître peu à peu les différences qui existaient entre l’Italie et les provinces. La Péninsule, jadis la partie du territoire la plus favorisée, perdit de sa valeur individuelle, les terres autrefois

  1. (1) Meyer, Lateinische Anthologie, t. II.
  2. (2) Savigny (Geschichte des rœmischen Rechtes im Mittelalter) a très bien exprimé l’opinion ancienne en la raisonnant : « Lorsque Rome était petite, dit cet homme éminent, et qu’elle rangeait sous sa dépendance quelques cités italiotes par l’octroi de son droit civique, on pouvait supposer entre ces dernières et la ville conquérante une sorte d’égalité, et c’est sur cette notion que reposa la constitution libre de ces villes. Mais, lorsque l’empire se fut étendu sur trois parties du monde, cette égalité cessa complètement, de sorte que la liberté locale dut diminuer. Vint ensuite la pression de l’administration impériale, qui, en imposant partout un même niveau d’obéissance, fit disparaître peu à peu les différences qui existaient entre l’Italie et les provinces. La Péninsule, jadis la partie du territoire la plus favorisée, perdit de sa valeur individuelle, les terres autrefois conquises se relevèrent quelque peu, puis enfin tout s’abîma ensemble dans un affaiblissement incurable. Pour Rome même, cet énervement est de toute évidence... » (T. I, p. 31.)