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littéraire : il n’eut, du moins, pour organes que des hommes fort éloquents sans doute, mais très étrangers au Latium, l’Espagnol Lucain, par exemple. Comme ces louangeurs inattendus ne purent déranger les préoccupations générales, le courant continua à pousser vers les illustrations grecques ou sémitiques. Chacun se sentait plus attiré, plus intéressé par elles. Ce que le gouvernement fit de mieux pour complaire à ces instincts fut accompli par Septime Sévère, lorsque ce grand prince érigea de riches monuments à la mémoire d’Annibal, et que son fils Antonin Caracalla dressa à ce même vainqueur de Cannes et de Trébie, des statues triomphales en grand nombre (1)[1]. Ce qu’il faut admirer davantage, c’est qu’il en remplit Rome même. J’ai dit ailleurs que, si Cornélius Scipion avait été vaincu à Zama, la victoire n’aurait pu cependant changer l’ordre naturel des choses, et amener les Carthaginois à dominer sur les races italiotes. De même, le triomphe des Romains, sous l’ami de Lælius, n’empêcha pas non plus ces mêmes races, une fois leur œuvre accomplie, de s’engloutir dans l’élément sémitique, et Carthage, la malheureuse Carthage, une vague de cet océan, put savourer aussi son heure de joie dans le triomphe collectif, et dans l’outrage posthume appliqué sur la joue de la vieille Rome.

Il semble que, le jour où les simulacres vermoulus des Fabius et des Scipions virent le borgne de la Numidie obtenir son marbre au milieu d’eux, il ne dut plus se trouver dans tout l’empire un seul provincial humilié : chacun de ses citoyens put librement chanter les louanges des héros topiques. Le Gétule, le Maure célébra les vertus de Massinissa, et Jugurtha fut réhabilité. Les Espagnols vantèrent les incendies de Sagonte et de Numance, tandis que le Gaulois éleva plus haut que les nues la vaillance de Vercingétorix. Personne n’avait désormais à s’inquiéter des gloires urbaines insultées par ces gens qui se disaient citoyens, et le plus piquant, c’est que ces citoyens romains eux-mêmes, métis et bâtards qu’ils étaient à l’égard



(1) Am. Thierry, la Gaule sous l’administr. rom. Introduct., t. I, p. 187 et pass.

  1. (1) Am. Thierry, la Gaule sous l’administr. rom. Introduct., t. I, p. 187 et pass.