Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/274

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais rien de romain, mais du moins étrusque ou italique ? Nullement. Puisqu’il lui fallait une législation de compromis, il alla la chercher dans le pays qui offrait, après la ville éternelle, la population la plus mélangée : sur la côte syrienne, et il entoura, avec raison du reste, de toute son estime l’école d’où sortit Papinien. En fait de religion, il avait dès longtemps été large dans ses vues (1)[1]. La Rome républicaine, avant de posséder un panthéon, s’était adressée à tous les coins de la terre pour se procurer des dieux (2)[2]. Il vint un jour où, dans ce vaste éclectisme, on eut encore peur de s’être mis trop à l’étroit, et, pour ne pas sembler exclusif, on inventa ce mot vague de Providence, qui est, en effet, chez des nations pensant différemment, mais ennemies des querelles, le meilleur à mettre en avant. Ne signifiant pas grand’chose, il ne peut choquer personne. La Providence devint le dieu officiel de l’empire (3)[3].



(1) L’étonnement des républicains peu idéalistes de la Rome sabine n’avait pas dû être médiocre en voyant Annibal mettre en avant contre lui des griefs théologiques. Le Carthaginois se présenta en apôtre de Milytta, et, au nom de cette divinité chananéenne, il détruisait les temples italiotes et faisait fondre les idoles en métal. (Voir Bœttiger, Ideen zur Kunst-Mythologie, t. I, p. 29.)

(2) M. Am. Thierry félicite chaudement Adrien de ce que, dans ses voyages perpétuels à travers l’empire, le touriste-administrateur étudiait toutes les religions, et, pour bien en pénétrer l’esprit et les mérites, se faisait révéler tous leurs mystères en agréant toutes leurs initiations. (La Gaule sous l’administr. rom. Introd., t. I, p. 173.) — Pétrone, Satyr., XVII, dit excellemment : « Nostra regio tam præsentibus plena est numinibus, ut facilius possis deum quam hominem invenire. »

(3) Avant l’invention de la Providence, qui offrait cet avantage politique de ne trancher aucune question, les Grecs sémitisés avaient éprouvé le même besoin que les Romains et pour les mêmes causes, de réunir les cultes reconnus dans la sphère de l’action politique ; mais, au lieu de les accepter également, ils avaient cherché querelle à tous. Deux rhéteurs, Charax et Lampsacus, s’étaient fait fort de réduire tous les mythes au pied d’une explication rationnelle. Evhémère généralisa cette méthode, et il n’y eut plus pour lui dans les récits divins que des faits fort ordinaires, ou mal compris, ou défigurés ; enfin, à son avis, toutes les religions reposaient sur des malentendus de la nature la plus mesquine. Il avait découvert que Cadmus était un

  1. (1) L’étonnement des républicains peu idéalistes de la Rome sabine n’avait pas dû être médiocre en voyant Annibal mettre en avant contre lui des griefs théologiques. Le Carthaginois se présenta en apôtre de Milytta, et, au nom de cette divinité chananéenne, il détruisait les temples italiotes et faisait fondre les idoles en métal. (Voir Bœttiger, Ideen zur Kunst-Mythologie, t. I, p. 29.)
  2. (2) M. Am. Thierry félicite chaudement Adrien de ce que, dans ses voyages perpétuels à travers l’empire, le touriste-administrateur étudiait toutes les religions, et, pour bien en pénétrer l’esprit et les mérites, se faisait révéler tous leurs mystères en agréant toutes leurs initiations. (La Gaule sous l’administr. rom. Introd., t. I, p. 173.) — Pétrone, Satyr., XVII, dit excellemment : « Nostra regio tam præsentibus plena est numinibus, ut facilius possis deum quam hominem invenire. »
  3. (3) Avant l’invention de la Providence, qui offrait cet avantage politique de ne trancher aucune question, les Grecs sémitisés avaient éprouvé le même besoin que les Romains et pour les mêmes causes, de réunir les cultes reconnus dans la sphère de l’action politique ; mais, au lieu de les accepter également, ils avaient cherché querelle à tous. Deux rhéteurs, Charax et Lampsacus, s’étaient fait fort de réduire tous les mythes au pied d’une explication rationnelle. Evhémère généralisa cette méthode, et il n’y eut plus pour lui dans les récits divins que des faits fort ordinaires, ou mal compris, ou défigurés ; enfin, à son avis, toutes les religions reposaient sur des malentendus de la nature la plus mesquine. Il avait découvert que Cadmus était un cuisinier du roi de Sidon, qui s’était enfui en Béotie avec Harmonia, joueuse de flûte de ce même monarque. (Bœttiger, Ideen zur Kunst-Mythologie, t. I, p. 187 et pass.) Le grand écueil de l’évhémérisme, c’est d’avancer des explication qui ont autant besoin de preuves que les faits qu’ils prennent à partie.