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sur lesquelles elles devaient s’exercer (1)[1], et quand plus tard on voulut joindre le brillant, l’imposant à l’utile comme couronnement nécessaire, on put décerner au maître du monde les honneurs de l’apothéose, on put en faire un dieu (2)[2], mais jamais on ne parvint à introniser ses fils nés ou à naître dans la possession régulière de ses droits. Amasser sur sa tête des nuages d’honneurs, faire fouler à ses pieds l’humanité prosternée, concentrer dans ses mains tout ce que la science politique, la hiérarchie religieuse, la sagesse administrative, la discipline militaire avaient jamais créé de forces pour plier les volontés : ces prodiges s’accomplirent, et nulle réclamation ne s’éleva ; mais c’était à un homme que l’on prodiguait tous ces pouvoirs, jamais à une famille, jamais à une race. Le sentiment universel, qui ne reconnaissait plus nulle part de supériorité ethnique dans le monde dégénéré, n’y aurait pas consenti. On put croire un instant, sous les premiers Antonins, qu’une dynastie sacrée par ses bienfaits allait s’établir pour le bonheur du monde. Caracalla se montra soudain, et le monde, qui n’avait été qu’entraîné, non encore convaincu, reprit ses anciens doutes. La dignité impériale resta élective. Cette forme de commandement était décidément la seule possible, parce que, dans cette société sans principes fixes, sans besoins certains, enfin, en un mot qui dit tout, sans homogénéité de sang, on ne pouvait vivre, quoi qu’on en eût, qu’en laissant toujours la porte ouverte aux changements, et en prêtant les mains de bonne grâce à l’instabilité (3)[3].



(1) « ... Potestatem tribunitiam... Id summi fastigii vocabulum Augustus repperit, ne regis aut dictatoris nomen assumeret, ac tamen appellatione aliqua cætera imperia præmineret. » (Tac., Ann., III, 56.)

(2) « ... Cuncta legum et magistratum munera in se trahens princeps... » (Tac., Ann., XI, 5.) — Suet., Dom., 13 : « Dominus et deus noster sic fieri jubet. »

(3) On dit beaucoup que ce sont les guerres qui troublent la conscience des peuples, les ramènent vers l’ignorance et les empêchent de se créer une idée juste de leurs besoins. Or, depuis la bataille d’Actium jusqu’à la mort de Commode, il n’y eut dans l’intérieur de l’empire d’autre levée de boucliers que la lutte des Flaviens contre

  1. (1) « ... Potestatem tribunitiam... Id summi fastigii vocabulum Augustus repperit, ne regis aut dictatoris nomen assumeret, ac tamen appellatione aliqua cætera imperia præmineret. » (Tac., Ann., III, 56.)
  2. (2) « ... Cuncta legum et magistratum munera in se trahens princeps... » (Tac., Ann., XI, 5.) — Suet., Dom., 13 : « Dominus et deus noster sic fieri jubet. »
  3. (3) On dit beaucoup que ce sont les guerres qui troublent la conscience des peuples, les ramènent vers l’ignorance et les empêchent de se créer une idée juste de leurs besoins. Or, depuis la bataille d’Actium jusqu’à la mort de Commode, il n’y eut dans l’intérieur de l’empire d’autre levée de boucliers que la lutte des Flaviens contre Vitellius. La prospérité matérielle fut très grande ; mais le pouvoir resta irrégulier, garda son inconsistance, et l’intelligence nationale alla toujours déclinant. (Voir Am. Thierry, Histoire de la Gaule sous l’administration romaine, t. I, p. 241.)