Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/253

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’État violents, des grands massacres, des grandes perversités, des grandes débauches. On se croit transporté à Tyr, aux jours de sa décadence ; et en effet, avec un plus grand espace aréal, la situation est pareille : un conflit des races les plus diverses ne pouvant parvenir à se mélanger, ne pouvant se dominer, ne pouvant pas transiger, et n’ayant de choix possible qu’entre le despotisme et l’anarchie.

Dans de pareils moments, les douleurs publiques trouvent souvent un théoricien illustre pour les comprendre et pour inventer un système supposé capable d’y mettre fin. Tantôt cet homme bien intentionné n’est qu’un simple particulier. Il ne devient alors qu’un écrivain de génie : tel fut, chez les Grecs, Platon. Il chercha un remède aux maux d’Athènes, et offrit, dans une langue divine, un résumé de rêveries admirables. D’autres fois, ce penseur se trouve, par sa naissance ou par les événements, placé à la tête des affaires. Si, attristé d’une situation tellement désastreuse, il est d’un naturel honnête, il voit avec trop d’horreur les maux et les ruines accumulés sous ses pas pour accepter l’idée de les agrandir encore, il reste impuissant. De telles gens sont médecins, non chirurgiens, et, comme Épaminondas et Philopœmen, ils se couvrent de gloire sans rien réparer.

Mais il apparut une fois, dans l’histoire des peuples en décadence, un homme mâlement indigné de l’abaissement de sa nation, apercevant d’un coup d’œil perçant, à travers les vapeurs des fausses prospérités, l’abîme vers lequel la démoralisation générale traînait la fortune publique, et qui, maître de tous les moyens d’agir, naissance, richesses, talents, illustration personnelle, grands emplois, se trouva être, en même temps, fort d’un naturel sanguinaire, déterminé à ne reculer devant aucune ressource. Ce chirurgien, ce boucher, si l’on veut, ce scélérat auguste, si on le préfère, ce Titan, se montra dans Rome au moment où la république, ivre de crimes, de domination et d’épuisement triomphal, rongée par la lèpre de tous les vices, s’en allait roulant sur elle-même et vers l’abîme. Ce fut Lucius Cornélius Sylla.

Véritable patricien romain, il était pétri de vertus