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de parvenue pour tout ce qui se taillait, se sculptait, s’écrivait, se pensait ou se disait dans le fond de la Méditerranée. Même au siècle d’Auguste, elle ne perdit jamais, dans ses rapports avec la Grèce dédaigneuse, cette humble et niaise attitude du provincial devenu riche qui veut passer pour connaisseur.

Mummius, vainqueur des Corinthiens, expédiait tableaux et statues à Rome en signifiant aux voituriers qu’ils auraient à remplacer les chefs-d’œuvre endommagés sur la route. Ce Mummius était un vrai Romain : un objet d’art n’avait pour lui que le prix vénal. Saluons ce digne et vigoureux descendant des confédérés d’Amiternum. Il n’était pas dilettante, mais avait la vertu romaine, et on ne riait que tout bas dans les villes grecques qu’il savait si bien prendre.

Le latin, jusqu’alors, avait gardé une forte ressemblance avec les dialectes osques (1)[1]. Il inclina davantage vers le grec, et si rapidement qu’il varia presque avec chaque génération. Il n’y a peut-être pas d’exemple d’une mobilité aussi extrême dans un idiome, comme il n’y en a pas non plus d’un peuple aussi constamment modifié dans son sang. Entre le langage des Douze Tables et celui que parlait Cicéron, la différence était telle que le savant orateur ne pouvait s’y reconnaître. Je ne parle pas des chants sabins, c’était encore pis. Le latin, depuis Ennius, tint à honneur de mettre en oubli ce qu’il avait d’italique.

Ainsi, pas de langue vraiment et uniquement nationale, un engouement de plus en plus prononcé pour la littérature, les idées d’Athènes et d’Alexandrie, des écoles et des professeurs helléniques, des maisons à l’asiatique, des meubles syriens, le dédain profond des usages locaux : voilà ce qu’était devenue la ville qui, ayant commencé par la domination étrusque, avait grandi sous l’oligarchie sabine : le moment de la démocratie sémitique n’était pas loin désormais.

La foule entassée dans les rues s’abandonnait tout entière à l’étreinte de cet élément. L’âge des institutions libres et de la légalité allait se clore. L’époque qui succéda fut celle des coups



(1) Le livre de Meier présente cette vérité dans un jour vraiment frappant. (Voir Meier, Lateinische Anthologie.)

  1. (1) Le livre de Meier présente cette vérité dans un jour vraiment frappant. (Voir Meier, Lateinische Anthologie.)