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fortifié la cité naissante, et qui consistait à inviter au festin de ses grandeurs tous les vagabonds du monde connu (1)[1]. Comme l’univers d’alors était infirme, Rome ne pouvait manquer de devenir la sentine de toutes les maladies sociales (2)[2].

Cette soif immodérée d’agrandissement aurait paru monstrueuse dans les villes grecques, car il en résultait de terribles atteintes aux doctrines d’exclusivité de la patrie (3)[3]. Des multitudes toujours offrant, toujours prêtes à conférer le droit de cité à qui le souhaitait, n’avaient pas un patriotisme jaloux. Les grands historiens des siècles impériaux, ces panégyristes si fiers des temps anciens et de leurs mœurs, ne s’y trompent nullement. Ce qu’ils célèbrent dans leurs mâles et emphatiques périodes sur l’antique liberté, c’est le patricien romain, et non pas jamais l’homme de la plèbe (4)[4]. Lorsqu’ils parlent avec adoration de ce citoyen vénérable dont les années se sont écoulées à servir l’État, qui porte sur son corps les cicatrices



(1) « Ne vana urbis magnitudo esset, adficiendæ multitudinis causa... locum qui nunc septus descendentibus inter duos lucos est, Asylum aperit. Eo ex finitimis populis, turba omnis, sine discrimine, liber an serves esset, avida novarum rerum perfugit. » (Liv., I.) L’horreur que les gens de tous les ordres prirent de très bonne heure pour le mariage régulier ne contribua guère moins que la guerre à détruire la population de souche italiote. En 131 avant J.-C., Q. Métellus Macédonicus, censeur, porte plainte aux sénateurs, et un décret engage les citoyens à renoncer au célibat. Ce ne fut pas le seul effort de la loi ; et aucun n’eut de succès. (Zumpt, ouvr. cité, p. 25.) Il faut encore tenir compte de l’usage qui permettait aux parents d’exposer leurs enfants, cause puissante de dépopulation.

(2) En principe, des citoyens seuls pouvaient entrer dans les légions. Lors de la seconde guerre punique, on y admit des affranchis. Marius y reçut indistinctement tous les prolétaires. (Zumpt, ouvr. cité, p. 23 et 27.)

(3) Denys d’Halicarnasse fait ressortir la différence des points de vue hellénique et romain, et donne, comme de juste chez un homme de son temps, toute louange et tout avantage à la méthode qui lui avait conféré à lui-même son rang de citoyen. (Antiq. Rom., 2, XVII.)

(4) Il ne faut pas s’y méprendre lorsqu’on lit dans Tacite : « Igitur, verso civitatis statu, nihil usquam prisci et integri moris : omnes, exuta æqualitate, jussa principis adspectare. » (Ann., l. I, 4.) Cette égalité, c’est l’égalité patricienne qui n’a que des inférieurs et pas de maîtres.


  1. (1) « Ne vana urbis magnitudo esset, adficiendæ multitudinis causa... locum qui nunc septus descendentibus inter duos lucos est, Asylum aperit. Eo ex finitimis populis, turba omnis, sine discrimine, liber an serves esset, avida novarum rerum perfugit. » (Liv., I.) L’horreur que les gens de tous les ordres prirent de très bonne heure pour le mariage régulier ne contribua guère moins que la guerre à détruire la population de souche italiote. En 131 avant J.-C., Q. Métellus Macédonicus, censeur, porte plainte aux sénateurs, et un décret engage les citoyens à renoncer au célibat. Ce ne fut pas le seul effort de la loi ; et aucun n’eut de succès. (Zumpt, ouvr. cité, p. 25.) Il faut encore tenir compte de l’usage qui permettait aux parents d’exposer leurs enfants, cause puissante de dépopulation.
  2. (2) En principe, des citoyens seuls pouvaient entrer dans les légions. Lors de la seconde guerre punique, on y admit des affranchis. Marius y reçut indistinctement tous les prolétaires. (Zumpt, ouvr. cité, p. 23 et 27.)
  3. (3) Denys d’Halicarnasse fait ressortir la différence des points de vue hellénique et romain, et donne, comme de juste chez un homme de son temps, toute louange et tout avantage à la méthode qui lui avait conféré à lui-même son rang de citoyen. (Antiq. Rom., 2, XVII.)
  4. (4) Il ne faut pas s’y méprendre lorsqu’on lit dans Tacite : « Igitur, verso civitatis statu, nihil usquam prisci et integri moris : omnes, exuta æqualitate, jussa principis adspectare. » (Ann., l. I, 4.) Cette égalité, c’est l’égalité patricienne qui n’a que des inférieurs et pas de maîtres.