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les sacrifices en ce genre, presque permanents, que les nécessités du salut social leur imposaient, on peut encore trouver la marque de leur esprit natif d’indépendance dans le rôle que le sentiment appelé par eux aussi l’amour de la patrie jouait au milieu de leurs vertus politiques.

Cette passion, vive comme chez les nations helléniques, n’avait pas le même despotisme cassant. La délégation que la patrie faisait à la loi de ses pouvoirs donnait au culte des Romains pour cette divinité quelque chose de beaucoup plus régulier, de bien autrement grave, et, en somme, de plus modéré. La patrie régnait sans doute, mais ne gouvernait pas, et nul ne songeait, comme chez les Grecs, à justifier les caprices des factions, leurs énormités et leurs exactions en les couvrant de ce mot unique : la volonté de la patrie (1)[1]. La loi, pour les Grecs, faite et défaite tous les jours, et constamment au nom du pouvoir supérieur, la loi n’avait ni prestige, ni autorité, ni force. Au contraire, à Rome, la loi ne s’abrogeait, pour ainsi dire, jamais ; elle était toujours vivante, toujours agissante, on la rencontrait partout, elle seule ordonnait, et, de fait, la patrie restait à son état d’abstraction, et n’avait pas le droit, bien que très honorée, de s’engouer tous les matins de quelque mauvais révolutionnaire nouveau, comme cela n’avait lieu que trop souvent sur le Pnyx.

Il n’est rien de mieux, pour comprendre ce que c’était que l’omnipotence de la loi dans la société romaine, que de voir le pouvoir des conventions augurales se perpétuer jusqu’à la



(1) Rien ne le montre mieux que la grande commotion civile qui porta les plébéiens à se retirer sur le mont Sacré, en laissant dans la ville les patriciens avec leurs clients et leurs esclaves. Toute cette affaire est admirablement exposée dans ses causes et sa conduite par Niebuhr. (Rœm. Geschichte, t. I, p. 412.) C’est un des morceaux les plus remarquables qui aient jamais été écrits sur l’antiquité. L’élévation de la pensée, comme sa justesse, en donnant au style du grand historien une beauté inattendue, le fait échapper cette fois au jugement d’ailleurs équitable de M. Macaulay : « Niebuhr, a man who would have been the first writer of his time, if his talent for communicating thoughts had borne any proportion to his talent for investigating them. » (Lays of Ancient Rom. Préface.)

  1. (1) Rien ne le montre mieux que la grande commotion civile qui porta les plébéiens à se retirer sur le mont Sacré, en laissant dans la ville les patriciens avec leurs clients et leurs esclaves. Toute cette affaire est admirablement exposée dans ses causes et sa conduite par Niebuhr. (Rœm. Geschichte, t. I, p. 412.) C’est un des morceaux les plus remarquables qui aient jamais été écrits sur l’antiquité. L’élévation de la pensée, comme sa justesse, en donnant au style du grand historien une beauté inattendue, le fait échapper cette fois au jugement d’ailleurs équitable de M. Macaulay : « Niebuhr, a man who would have been the first writer of his time, if his talent for communicating thoughts had borne any proportion to his talent for investigating them. » (Lays of Ancient Rom. Préface.)