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et puissants, gardaient des splendeurs de la royauté un souvenir secret qui leur faisait souhaiter le pouvoir suprême, et redouter que des compétiteurs ne le saisissent avant eux, de sorte que la république commença sa carrière avec toutes les difficultés que voici :

Une civilisation très abaissée ;
Une aristocratie qui voulait gouverner seule ;
Un peuple, tourmenté par elle, qui s’y refusait (1)[1] ;
L’usurpation imminente chez un noble quelconque ;
La révolte non moins imminente dans la plèbe ;
Des accusations perpétuelles contre tout ce qui s’élevait au-dessus du niveau vulgaire par le talent ou les services ;
Des ruses incessantes chez les gens d’en bas pour renverser ceux d’en haut sans employer la force ouverte.

Une telle situation ne valait rien. La société romaine, placée dans de telles conditions, ne subsistait qu’à l’aide d’une compression permanente de tout le monde ; de là un despotisme qui n’épargnait personne, et cette anomalie que, dans un État qui fondait son plus cher principe sur l’absence du gouvernement d’un seul, qui proclamait son amour jaloux pour une légalité émanant de la volonté générale, et qui déclarait tous les patriciens égaux, le régime ordinaire fut l’autorité d’un dictateur, sans bornes, sans contrôle, sans rémission, et empruntant à son caractère soi-disant transitoire un degré de violence hautaine inconnu à l’administration de tout monarque avoué.

Au milieu de la terrible éruption des fureurs politiques, on est cependant surpris de voir cette Rome, ainsi faite qu’elle semblait une offrande à la discorde, ne pas représenter ce qu’on a observé chez les Grecs. Si la passion du pouvoir y



(1) Liv., I : « Civitas secum ipsa discors intestino inter patres plebemque flagrabat odio, maxime propter nexos ob æs alienum. Fremebant se foris pro libertate et imperio dimicantes, domi a civibus captos et oppressos esse : tutioremque in bello quam in pace, inter hostes quam inter cives, libertatem plebis esse. » — Tac., Ann., VI, 16 : « Sane vetus Urbi fœnebre malum, et seditionum discordiarumque creberrima causa. »

  1. (1) Liv., I : « Civitas secum ipsa discors intestino inter patres plebemque flagrabat odio, maxime propter nexos ob æs alienum. Fremebant se foris pro libertate et imperio dimicantes, domi a civibus captos et oppressos esse : tutioremque in bello quam in pace, inter hostes quam inter cives, libertatem plebis esse. » — Tac., Ann., VI, 16 : « Sane vetus Urbi fœnebre malum, et seditionum discordiarumque creberrima causa. »