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hommes apostoliques, réduit à user de fraudes pieuses, substitua aux divinités des bois, des prés, des fontaines, les saints, les martyrs et les vierges. Ainsi les hommages continuèrent, pendant quelque temps s’adressèrent mal, et finirent par trouver la bonne voie. Que dis-je ? Est-ce vraiment certain ? Est-il avéré que, sur quelques points de la France même, il ne se trouve pas telle paroisse où quelques superstitions aussi tenaces que bizarres, n’inquiètent pas encore la sollicitude des curés ? Dans la catholique Bretagne, au siècle dernier, un évêque luttait contre des populations obstinées dans le culte d’une idole de pierre. En vain on jetait à l’eau le grossier simulacre, ses adorateurs entêtés savaient l’en retirer, et il fallut l’intervention d’une compagnie d’infanterie pour le mettre en pièces. Voilà quelle fut et quelle est la longévité du paganisme. Je conclus qu’on est mal fonde à soutenir que Rome et Athènes se soient trouvées un seul jour sans religion.

Puisque donc il n’est jamais arrivé, ni dans les temps anciens, ni dans les temps modernes, qu’une nation abandonnât son culte avant d’être bien et dûment pourvue d’un autre, il est impossible de prétendre que la ruine des peuples soit la conséquence de leur irréligion.

Après avoir refusé une puissance nécessairement destructive au fanatisme, au luxe, à la corruption des mœurs, et la réalité politique à l’irréligion, il me reste à traiter de l’influence d’un mauvais gouvernement ; ce sujet vaut bien qu’on lui ouvre un chapitre à part.


CHAPITRE III.

Le mérite relatif des gouvernements n’a pas d’influence sur la longévité des peuples.

Je comprends quelle difficulté je soulève. Oser seulement l’aborder semblera à beaucoup de lecteurs une sorte de paradoxe. On est convaincu, et l’on fait très bien de l’être, que