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généraux, rassemblant leurs troupes, accoururent ; on ne voyait que gens en armes, se hâtant deçà et delà et demandant où était l’ennemi, que personne ne voyait, puisqu’il n’existait pas et que l’alerte était fausse.

Il paraît que les visages animés des chefs et leurs attitudes belliqueuses parurent souverainement ridicules à la sérieuse Pao-sse, car elle se mit à rire. Ce que voyant, l’empereur se déclara au comble de la joie. Il n’en fut pas de même des graves plastrons de tant de bonne humeur. Ils se retirèrent profondément blessés, et la fin de l’histoire est que, lorsque les Tartares parurent pour de bon, personne ne vint au signal, l’empereur fut pris et tué, Pao-sse enlevée, son fils dégradé, et tout rentra dans l’ordre sous la domination d’Y-kieou, qui prit la couronne sous le nom de Ping-wang (1)[1].

En voilà assez pour montrer combien, en fait, l’autorité absolue des empereurs était limitée par l’opinion publique et par les mœurs ; et c’est ainsi que l’on a toujours vu, en Chine, la tyrannie n’apparaître que comme un accident constamment détesté, réprimé, et qui ne se perpétue guère, parce que le naturel de la race gouvernée ne s’y prête pas. L’empereur est, sans doute, le maître des États du Milieu, voire, par une fiction plus hardie, du monde entier, et tout ce qui se refuse à son obéissance est, par cela même, réputé barbare et en dehors de toute civilisation. Mais, tandis que la chancellerie chinoise s’épuise en formules de respect lorsqu’elle s’adresse au Fils du ciel, l’usage ne permet pas à celui-ci de s’exprimer, sur son propre compte, d’une manière aussi pompeuse. Son langage affecte une extrême modestie : le prince se représente comme au-dessous, par son petit mérite et sa vertu médiocre, des sublimes fonctions que son auguste père a confiées à son insuffisance. Il conserve toute la phraséologie douce et affectueuse du langage domestique, et ne manque pas une occasion de protester de son ardent amour pour le bien de ses chers enfants : ce sont ses sujets (2)[2].



(1) Gaubil, Traité de la chronologie chinoise, p. 111.

(2) J. F. Davis, The Chinese, p. 178.

  1. (1) Gaubil, Traité de la chronologie chinoise, p. 111.
  2. (2) J. F. Davis, The Chinese, p. 178.