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un coup de vent, errèrent pendant huit mois en mer, et finirent par arriver à l’une des îles de Radack, à l’extrémité orientale de l’archipel des Carolines, ayant ainsi fait involontairement une traversée de 550 lieues. Ces malheureux vivaient uniquement de poisson ; ils recueillaient les gouttes de pluie avec le plus grand soin. Cette ressource venait-elle à leur manquer, ils plongeaient au fond de la mer et buvaient de cette eau, qui, dit-on, est moins salée. Il va sans dire qu’en arrivant à Radack, les navigateurs étaient dans l’état le plus déplorable ; cependant ils se remirent assez promptement, et recouvrèrent la santé (1)[1].

Ces deux citations suffisent pour rendre admissible l’idée d’une rapide diffusion de certains groupes humains dans des climats très différents, et sous l’empire des circonstances locales les plus opposées. Si, cependant, il fallait encore d’autres preuves, on pourrait parler de la facilité avec laquelle les insectes, les testacés, les plantes, se répandent partout, et certainement il n’est pas nécessaire de démontrer que ce qui arrive pour les catégories d’êtres que je viens de nommer est, à plus forte raison, moins difficile pour l’homme (2)[2]. Les testacés terrestres sont entraînés dans la mer par la destruction des falaises, puis emportés jusqu’à des plages lointaines au moyen des courants. Les zoophytes, attachés à la coquille des mollusques, ou laissant flotter leurs bourgeons sur la surface de l’Océan, vont, où les vents les emportent, établir de lointaines colonies ; et ces mêmes arbres d’espèces inconnues, ces mêmes poutres sculptées qui, dans le XVe siècle, vinrent s’échouer, après tant d’autres inobservées, sur les côtes des Canaries, et servant de texte aux méditations de Christophe

  1. (1) Lyell’s, Principles of Geology, t. II, p. 119.
  2. (2) M. Alexandre de Humboldt ne pense pas que cette hypothèse puisse s’appliquer à la migration des plantes. « Ce que nous savons, dit cet érudit, de l’action délétère qu’exerce l’eau de mer dans un trajet de 500 à 600 lieues sur l’excitabilité germinative de la plupart des grains, n’est d’ailleurs pas en faveur du système trop généralisé sur la migration des végétaux au moyen des « courants pélagiques. » (Examen critique de l’Histoire de la géographie du nouveau continent, t. II, p. 78.)