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— Dans le sens où vous paraissez l’entendre, reprit le premier interlocuteur, Omm-Djéhâne n’est pas, en effet, fort digne d’attention. Je me suis rencontré avec un officier d’infanterie en retraite qui la connaît depuis son enfance. Cette belle est originaire d’une tribu lesghy aujourd’hui détruite, et vous savez que ses compatriotes n’ont pas une grande réputation de douceur. Recueillie par des soldats, quand elle avait trois ou quatre ans, au milieu des ruines d’un village montagnard qui brûlait et sur le corps de sa mère, tombée morte par dessus un officier poignardé par la dame, la femme d’un général la réclama et prétendit la faire élever à l’européenne. On la soigna très-fort, on l’habilla bien et absolument comme les deux filles de la maison. On lui donna l’institutrice chargée d’instruire ces demoiselles, et elle apprit vite, et mieux qu’elles le russe, l’allemand et le français. Mais un de ses jeux favoris était de plonger les jeunes chats dans l’eau bouillante. Elle avait dix ans quand elle faillit étrangler, au détour d’un escalier, sa gouvernante, la digne mademoiselle Martinet, qui l’avait appelée petite sotte huit jours auparavant, et elle lui mit un magnifique tour de cheveux châtains hors d’état de servir jamais. À six mois de là, elle fit mieux. Elle se rappela ou plutôt elle n’avait jamais oublié qu’un an auparavant la plus jeune fille de sa bienfaitrice l’avait poussée en jouant ; elle était tombée et il en était résulté une bosse au front. Elle crut devoir aviser à