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dans le monde. Il est incontestable que les empires sont gouvernés par d’horribles coquins, et si on mettait à tous ces gens-là une balle dans la tête, on ne ferait que leur rendre justice ; mais, à quoi bon ? Ceux qui viendraient après seraient pires. Gloire à Dieu qui a voulu, pour des raisons que nous ne connaissons pas, que la méchanceté et la bêtise conduisissent l’univers !

Il m’arrivait aussi assez souvent de penser à ma chère Leïla et à mon bien-aimé Kérym. Alors, je sentais que les larmes me montaient aux yeux, mais ce n’était pas de longue durée. Je retournais à mes débiteurs, à mes créanciers, à mon ouvrage de maçon, à mes cabarets, à mes camarades de compotation, à la philosophie de Moulla-Aga-Téhérany, et je m’abandonnais absolument à la volonté suprême qui a tout arrangé suivant ses vues.

Pendant un an, tout alla de la sorte, c’est-à-dire fort bien. Je suis un vieux soldat et je puis dire que l’on n’a jamais rien vu de mieux ordonné. Un soir, après être resté trois jours absent, je rentrai au corps de garde vers dix heures et je fus extrêmement étonné d’y trouver presque tous mes camarades et le nayb lui-même. Ils étaient assis par terre, en cercle ; une lampe bleue les éclairait à peu près et tous fondaient en larmes. Mais celui qui pleurait le plus fort, c’était le nayb.