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Aly se réfugiait-il auprès d’elle, noyé dans ses larmes, en se frottant d’une main les parties offensées par l’irascible marchand et s’essuyant de l’autre les yeux et le nez, à peine la matrone avait-elle réussi à saisir à travers les sanglots et les cris, le nom du coupable, qu’elle ne perdait pas une minute ; elle ajustait son voile et se précipitait hors de sa porte, comme une trombe, secouant les bras en l’air et poussant ce cri :

— Musulmanes ! on égorge nos enfants !

À cet appel, cinq à six commères qui, mues par un esprit belliqueux, étaient accoutumées à lui servir d’auxiliaires dans les expéditions de cette sorte, accouraient du fond de leurs demeures et la suivaient en hurlant et en gesticulant comme elle ; en route, on se recrutait, on arrivait en force devant la boutique du coupable. Le scélérat voulait s’expliquer, on ne l’écoutait pas, on faisait main-basse sur tout. Les désœuvrés du bazar s’empressaient de se mêler à l’action, les gens de la police se jetaient dans la bagarre et cherchaient vainement à rétablir l’ordre à coups de pieds et de gaules. Ce qui pouvait arriver de plus heureux au marchand, c’était de ne pas être mis en prison ; car, une amende, il finissait toujours par la payer, s’étant permis de troubler la paix publique.

Insensiblement, Gambèr-Aly arriva à ce jour solennel où sa mère, interrompant ses ébats, lui passa un shalwàr ou pantalon, lui mit un koulidjêh ou tunique, une ceinture et un bonnet, et l’envoya à