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assénait de ça, de là, le talon ferré sur la tête, sur la figure, sur les mains de son malheureux conjoint ! Rien que d’y penser donne le frisson ; mais encore une fois, c’était un ménage heureux ; de pareilles catastrophes ne se renouvelaient guère plus souvent que deux fois par semaine, et, le reste du temps, on fumait ensemble le kalyan, on prenait du thé bien sucré dans de la porcelaine anglaise, et on chantait les chansons du Bazar en s’accompagnant avec le kémantjeh.

Mirza-Hassan-Khan se plaignait, non sans raison, de la dureté des temps qui, le plus souvent, l’obligeait à tenir engagée la majeure partie de ses effets et quelquefois ceux de sa femme. Mais, à moins de se résigner à cet ennui, il n’aurait jamais fallu songer à se régaler de confitures, de pâtisseries, de vin de Shyraz et de raki, ce qui n’était pas probable. On se résignait donc. On empruntait, à ses amis, aux marchands, aux Juifs, et, comme c’était une opération toujours difficile, attendu que le Khan jouissait d’un faible crédit, on livrait des habits, des tapis, des coffres, ce qu’on avait. Lorsque le bonheur venait à sourire et laissait tomber quelque pièce de monnaie dans les mains du ménage, on appliquait un système financier très-sage : on s’amusait avec un tiers de l’argent ; avec l’autre, on spéculait ; avec le troisième, on dégageait quelque objet regretté ou bien on amortissait la dette publique. Cette dernière combinaison était rare.