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mot. Quand je l’aurai, tu le partageras, et, sans avoir passé par les routes innombrables que j’ai parcourues, tu auras tout, sans peine, sans mes angoisses, sans mes chagrins, sans mes doutes, sans mes désespoirs. Comprends-tu ? Es-tu heureux ?

Kassem tressaillit.

— Sans désespoirs ? se dit-il en lui-même, est-ce bien vrai ? N’aurai-je pas payé autant que lui ?

Cependant, il se sentit entraîné par les paroles de son maître. Son cœur se ranima et bondit. Il espéra de son côté. Il touchait à un des buts de sa vie. Un instant, il oublia l’autre.

— Allons ! s’écria-t-il avec énergie, marchons ! Je vous suis ! Je suis prêt !

— Tu n’as pas peur ? murmura le derviche.

— De rien au monde ! répartit Kassem. En vérité, la vie était de toutes les choses celle à laquelle il tenait le moins.

Le derviche se leva et marcha dans la grotte. Kassem le suivait. Ils s’enfoncèrent dans les profondeurs de la terre. Bientôt la clarté du jour les abandonna. Ils s’avancèrent dans le crépuscule, puis bientôt dans les ténèbres. Ils ne prononçaient un mot ni l’un ni l’autre. Au bout de quelque temps, Kassem sentit, sous ses mains portées en avant, la roche vive, et il s’aperçut que le derviche la tâtait de ses doigts. Autour d’eux, s’accumulaient des blocs de pierres jetés là par des éboulements souterrains et qu’ils avaient