Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/76

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Eh bien ! mademoiselle, lui dit-il, qu’est-ce que cet enfantillage ? Si je n’étais pas celui que je suis, je vous traiterais comme vous le cherchez.

— Qu’est-ce que tu ferais ? répliqua impétueusement Omm-Djéhâne.

Moreno se mit à rire et la lâchant tout à coup sans faire le moindre geste qui impliquât l’envie de la désarmer, il lui répondit :

— Je vous embrasserais, mademoiselle ; car voilà ce que gagnent les jeunes filles qui se permettent d’agacer les garçons.

En parlant ainsi, il tira son mouchoir de sa poche et l’appuya sur sa poitrine. Le sang coulait fort et tachait sa chemise. Le coup avait été bien appliqué ; heureusement il n’avait pas pénétré, sans quoi Moreno aurait mesuré sa longueur sur le plancher sans plus se relever jamais.

Omm-Djéhâne souriait et dit d’un air de triomphe :

— Il ne s’en est pas fallu de beaucoup ! une autre fois, j’aurai la main plus sûre.

— Grand merci ! Une autre fois je serai sur mes gardes, et remarquez que vous avez gâté tout à fait vos affaires. Arrive, Assanoff, regarde la belle imagination de mademoiselle !

Assanoff était sur le seuil, le visage cramoisi, les yeux hors de la tête. Il venait d’achever son hébêtement avec le raki du maître de police, et le ciel voulait que l’ivresse lui eût fait prendre Omm-Djéhâne en horreur.

— Que le diable l’emporte, cette mademoiselle ! Qu’est-ce qu’elle a encore fait ? Tiens ! vois-tu, Omm-Djéhâne, laisse-moi tranquille ! Quelles vieilles histoires viens-tu me conter ! Est-ce que tu crois que je me soucie du Caucase et des brutes qui l’habitent ? Mon père et ma mère ? Vois-tu, je te le dis entre nous, c’étaient d’infâmes brigands, et quant à ma tante, ah ! la sorcière ! Tu ne peux pas nier que c’était une sorcière ! D’ailleurs, moi, je veux aller passer l’hiver prochain à Paris ! J’irai souper aux plus fameux cafés ! je fréquenterai les petits théâtres ! Tu viendras avec moi, Moreno ! n’est-ce pas, Moreno, tu viendras avec moi ! Ah ! mon petit frère, ne m’abandonne pas ! Allons