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un balancement de hanches, qui, journellement, ravissait en extase d’innombrables admirateurs, elle sortit de la chambre, son tjibouk d’une main et son chapelet de l’autre. Elle passa, sans s’y arrêter, devant chaque porte des cellules habitées par plusieurs de ses élèves, et elle ouvrit, enfin, celle d’Omm-Djéhâne. Elle entra.

L’appartement était petit, étroit. Il n’y avait, dans un angle, qu’un sopha très-court. Pas de gravures européennes ; aucune espèce de luxe nulle part ; pas de tjibouk ; Omm-Djéhâne ne fumait pas ; aucun verre, aucune bouteille ; elle ne buvait pas ; non, rien, pas même un pot de rouge ni de blanc de céruse, elle ne se fardait pas, ce qui était inouï chez une personne de la ville, et les personnes qui lui voulaient le plus de bien citaient cette bizarrerie comme un des traits les plus regrettables de son caractère.

Lorsque sa maîtresse entra, la jeune danseuse était assise, la joue appuyée sur sa main gauche, le coude sur un coussin. Elle regardait droit devant elle, livrée à une abnégation absolue de sa pensée et de ses sens. Elle était vêtue d’une robe étroite de soie cramoisie à raies jaunes parsemées de fleurs bleues ; un mouchoir de gaze rouge, brodé d’or, était entortillé dans ses cheveux noirs ; elle portait au cou un collier d’or émaillé, et aux oreilles ainsi qu’aux bras des ornements de même matière.

Grégoire Ivanitch avait raison : Omm-Djéhâne n’était pas ce qui s’appelle jolie. Cependant il en avait été touché et préoccupé, et cela s’expliquait. Une séduction puissante s’exhalait de cette jeune fille. À vouloir en détailler les causes, on ne les retrouvait pas ; cependant on ne cessait pas d’en sentir l’action. C’était une de ces créatures qui entraînent, qui enivrent, qui ensorcellent, et qui ne vous disent ni pourquoi, ni comment. En vérité, un critique froid n’eût trouvé qu’un seul adjectif à lui appliquer. Il eût dit d’elle : Elle est étrange ; mais aucun critique n’eût pu rester froid en sa présence.

— Mon âme, dit les Splendeurs de la Beauté, en s’asseyant à côté de sa pensionnaire, écoutez-moi bien, il s’agit d’un grand mystère.