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malade ; mais croyez-vous que son état ne puisse s’améliorer et que les conséquences en soient si dangereuses ?

— Croyez-moi, je vous le répète, ne poussez pas l’épreuve plus loin. Tout à l’heure, à la station, nous ferons rencontre d’une caravane qui va à Bagdad ; quittez-moi, rejoignez-la, et retournez en Europe par Alep et Beyrouth.

Valerio se soumit et en fut immédiatement récompensé. Aussitôt que Lucie eut connaissance de ce qui allait arriver, elle éprouva un soulagement immédiat. Elle sourit franchement pour la première fois depuis bien des jours. La séparation de tous les amis qu’elle s’était faits lui fut cependant pénible ; quelques heures, auparavant, elle les détestait et les redoutait. Quand le Shemsiyèh prit congé d’elle, la jeune femme lui fit quelques présents qui furent reçus avec une émotion de reconnaissance. Le pauvre diable jura à l’Européenne un souvenir éternel, et il a tenu parole. Le poëte composa un sonnet, dont la copie fut précieusement conservée. La femme de Redjèb-Aly serra longtemps sa protectrice sur son cœur et celle-ci lui rendit ses embrassements avec une émotion vraie. À ce moment, elle aurait presque souhaité de ne pas partir. Mais la résolution était prise. Kerbelay-Houssein lui donna solennellement sa bénédiction en l’appelant sa fille, et elle passa avec Valerio dans le campement de l’autre caravane.

Un an après, Valerio Conti et sa charmante femme prenaient le thé dans un salon de Berlin. Il y avait là des diplomates, des militaires, des professeurs et des femmes fort spirituelles et aimables. On faisait raconter à la jeune voyageuse ses aventures en Asie, et elle y mettait une verve, un feu, une exaltation qui la rendaient particulièrement charmante.

— Oui, je vous l’assure, disait-elle. Je regrette ce temps comme le meilleur de ma vie. Je suis assurément bien reconnaissante au comte de P. d’avoir fait nommer M. Conti secrétaire à la légation ottomane dans cette Cour ; mais, s’il n’y avait pas réussi, eh bien, je serais encore dans cet Orient, que j’ai trop rapidement traversé, et qui éveille