plus des préoccupations de l’avenir écrasées sous la présence impérieuse de ce qui est là.
Et voilà la physionomie de la vie de voyage, et voilà son langage, et voilà ce qu’elle dit à l’imagination de celui qui l’adopte et la sait pratiquer. Malheureusement tout fruit a le vers qui le ronge, et les plus brillantes fleurs de la création ne sont pas sans un venin secret, d’autant plus dangereux que les couleurs de la plante sont plus éclatantes et plus belles.
On a vu comme Lucie avait ressenti d’abord une impression saisissante et joyeuse de tous ces tableaux si variés qui se succédaient sous ses regards ou s’y pressaient à la fois. Si les façons de ces pays nouveaux avaient excité son enthousiasme, elle était entrée avec une curiosité extrême dans les récits innombrables qui lui avaient été faits ; elle s’était enivrée du parfum de tant de révélations singulières, et les êtres humains si différents d’elle-même, qui s’agitaient chaque jour sous ses yeux, faisaient naître à la fois, les uns sa sympathie, les autres son dégoût ; rien pour elle n’était dépouillé d’intérêt.
Les choses en étaient là, quand, une nuit, une idée, une impression suffit pour tout changer en elle. Elle s’était réveillée sous l’impression d’un malaise indéfinissable et, pour la première fois, depuis son mariage, elle se sentit triste, mais triste jusqu’à la mort. Elle ne se rendait compte de rien, elle ne savait rien, elle ne sentait rien de particulier ; pourtant elle se mit à pleurer, sans le vouloir, presque sans le savoir et peu à peu, les pleurs la suffoquant, elle se mit à sangloter tout haut, et Valerio réveillé, la trouva cachant sa tête dans ses bras et ne cherchant plus même à maîtriser une sorte de désespoir.
La surprise du jeune mari fut extrême ; son épouvante ne le fut pas moins. Il prit sa femme dans ses bras :
— Qu’as-tu, Lucie ? lui dit-il.
Elle ne pouvait répondre ; elle pleurait trop. Elle se serrait sur le cœur qui lui appartenait, mais cette consolation qu’elle y cherchait,