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autres. On y chante, on y rit, et on s’y amuse tout autant. À la vérité, les conducteurs en sont de vertueux tjaoushs avec leurs, vastes turbans, des moullas vénérables pourvus de coiffures non moins sérieuses ; les versets du Koran sont fréquemment récités ; mais on ne peut pas prier toujours, et, dans les intervalles qui sont nombreux et longs, le plus austère directeur ne se refuse pas à entendre, ni à faire un bon conte. Quand on arrive à la station, le turban est mis de côté, et en caleçon et bonnet de nuit, on se met à son aise ; on loue Dieu de ce qu’il a créé l’eau-de-vie. Cependant, les fils respectueux, les frères dévoués, ont pris sur le bat du mulet le corps de leur regretté parent ; on a mis les caisses funèbres les unes sur les autres, en tas, ou bien encore on les a laissées où elles sont tombées ; on les ramassera le lendemain, et, si l’on se trompe de coffre, en définitive, chaque défunt aura finalement la même couche funèbre sous la protection et dans le voisinage de l’Imam. Tout irait pour le mieux, si l’odeur qui s’exhale de ces cadavres mal empaquetés n’était pas, en elle-même, désagréable et tenue, assez généralement, pour malsaine ; c’est là seulement ce qui fait qu’on évite, quand on peut, les caravanes des morts.

Au contraire, on ne déteste pas la rencontre d’un grand seigneur, s’en allant avec deux ou trois cents cavaliers, chasser, ou rendre au roi ses hommages. C’est une occasion de plaisir. C’est aussi quelquefois un surcroît de sécurité. Deux ou trois cents braves gentilshommes des tribus, armés jusqu’aux dents, ne sont pas d’un petit secours dans les contrées hantées et troublées par les Kurdes Djellalys ou autres, dans les régions du Nord, ou bien par les Bakhthyarys et les Loures dans celles du Sud. Alors, pendant qu’on voyage côte à côte, on échange de grandes politesses et de petits présents qui ne font jamais de peine à ceux qui les reçoivent.

De loin en loin, la caravane allant toujours, arrive enfin dans le voisinage d’une ville réelle et stable. Ces villes sont rares. Quand on est établi sous les murailles d’une de ces cités, alors la population errante redouble d’occupations et de mouvements. Celui-ci