Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/344

Cette page n’a pas encore été corrigée

de même pour tout ; dureté de cœur chez les hommes, cruauté et sévérité chez les gouvernants, et de la liberté nulle part  : il n’y a que contrainte ; par-dessus le marché, un climat aussi inhospitalier que le reste. Je ne me suis jamais étonné, effendum, de voir ce que vous avez dû observer comme moi, vu que ceux de vos Européens qui viennent demeurer au milieu de nous, ne peuvent plus s’en détacher, prennent vite nos habitudes et nos mœurs, tandis qu’on n’a jamais cité un des nôtres qui eût la moindre envie de rester dans vos territoires et de s’y établir.

— Tout cela est encore assez exact, repartit Valerio et, pourtant, je vous ferai remarquer que le nombre des Asiatiques faisant le voyage d’Europe devient chaque année plus considérable.

— D’accord  ! s’écria le Sèyd. Ce sont des militaires que l’on envoie apprendre l’exercice et les façons du nyzam  ! Ce sont des ouvriers qui devront poser des poteaux du télégraphe  ! Ce sont des médecins qui apprendront à disséquer des cadavres humains  ! Tous métiers d’esclaves, métiers stupides ou avilissants  ! ou immondes  ! Mais il n’est jamais passé par la tête de personne que les Européens, qui savent les choses grossières et communes, possèdent la moindre idée des connaissances supérieures. Ils ne savent ni théologie, ni philosophie. On ne parle point de leurs poètes parce qu’ils ignorent tous les artifices du beau langage, ne connaissant ni le style allitéré, ni les façons de parler fleuries et savantes, d’ailleurs j’ai ouï dire que leurs langages ne sont au fond que des patois rudes et incorrects. De tout ceci il résulte que l’Europe ne saurait exercer aucun attrait sur les natures délicates, et c’est pourquoi je vous répète que jamais un galant homme n’y met les pieds, quand il n’y est pas contraint par les ordres de son gouvernement.

Sèyd Abdourrahman ayant terminé cette apostrophe du ton pénétré d’une foi solide, Valerio ne vit aucune raison d’argumenter contre lui et on parla d’autres choses sur lesquelles on pouvait être mieux d’accord.

Cependant la caravane avançait. Le paysage changeait. On parcourait les contrées montagneuses de la Haute-Arménie ; on avait