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organisé, que se développe le plus à l’aise le caractère et l’esprit des Asiatiques.

Vers huit heures, la caravane s’arrêta pour se reposer toute la journée et ne repartit que dans la nuit, vers deux heures. Kerbelay-Houssein, fidèle à sa sollicitude pour les jeunes Européens, vint lui-même leur désigner un endroit choisi, où il fit élever leur tente. On la plaça au milieu du beau quartier, de ce qu’on appellerait en Europe le quartier aristocratique. Là, n’habitaient que gens sérieux et dignes de considération. C’était plus respectable, mais moins amusant que les autres parties du camp. Aussi Valerio emmena-t-il Lucie très-bien voilée pour se promener un peu partout.

Ce qu’on pouvait considérer comme le séjour de la bourgeoisie, comptait encore quelques tentes, mais petites et basses pour la plupart. La plus grande partie des habitations ne se formait que de ballots montés les uns sur les autres et couverts par des pans d’étoffe interposés entre les rayons du soleil et la tête du propriétaire de ce qu’on ne saurait appeler un immeuble. Certains de ces arrangements étaient très-jolis et confortables, bien garnis de tapis et de coussins.

Dans le quartier populaire, on ne rencontrait que des bivouacs, des feux allumés, quelques baraques faites avec des bâts de mulets et de chameaux ; là, les gens, peu sybarites, dormaient étendus sous la lumière crue, avec leurs abbas sur la tête, et, partout, dans les trois quartiers, se dressaient les rôtisseries, les boutiques d’épiceries, les marchands de thé et de café, et l’on entendait dans plus d’un coin, dont le maître était invariablement un Arménien, le son d’une guitare et d’un tambourin. Il était sage de ne pas trop s’aventurer de ces côtés.

— Madame, dit en italien une voix cassée, madame, je vous salue et me présente à vous comme une femme bien malheureuse.

Lucie s’arrêta, Valerio en fit de même, et ils virent à leurs côtés une femme habillée en homme, à la mode persane, avec un chapeau de paille sur la tête.

— De quel pays êtes vous ? demanda Valerio.