appartenaient la plupart de ses camarades. Il possédait en propre trois cents mulets de charge, ce qui constituait un avoir assez respectable. Il était donc riche, considéré ; mais, comme il convient à un homme de sa profession, il ne se donnait aucun titre pompeux, ne se faisait pas même appeler beg, allait vêtu de laine fort propre, mais très-commune, et se contentait d’être le plus despotique et le plus inflexible des législateurs. D’ailleurs, il ne s’emportait jamais, content d’égaler en obstination le plus obstiné de ses mulets.
— Maître, dit Valerio à ce personnage ; vous allez à Tabryz ?
— Inshallah, s’il plaît à Dieu ! répondit Kerbelay-Houssein, avec une dévote réserve.
— Combien de jours comptez-vous mettre dans ce voyage ?
— Dieu seul le sait ! répliqua le chef toujours du même ton. Cela dépendra du temps beau ou mauvais ; de l’état des pâturages pour mes mulets, du prix de l’orge dans les différentes stations, et enfin, du séjour que nous ferons à Bayazyd et ailleurs.
— De sorte que vous ne pouvez pas du tout me dire à l’avance quand nous arriverons ?
Le muletier sourit.
— J’ai vu des Européens, dit-il, et j’ai toujours remarqué qu’ils sont pressés. Croyez-moi, l’heure de la mort arrive toujours. Vous avez le temps ; ni une minute plus tôt, ni une minute plus tard que le sort ne le veut, nous n’arriverons à Tabryz. Vivez content, croyez-moi, sans vous tourmenter davantage.
— Vous m’avez l’air d’un brave homme, répliqua Valerio, et je crois que vous êtes tel. Je vais donc vous parler à cœur ouvert. J’ai une jeune femme, et je crains que la prolongation des fatigues de la route ne soit une épreuve un peu dure pour elle ; c’est pourquoi je viens me consulter avec vous sur ce qu’il y aurait à faire pour que ma femme souffrît le moins possible. Ensuite, j’ai encore quelque chose à vous demander. Pour mon voyage, j’emporte quelque argent, et, avec tant de monde qu’il y a ici, dans la caravane, je ne suis pas bien aise de l’avoir toujours sur moi ; je crains qu’on ne me le vole.