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nous attacherons davantage à ceux qui suivent. D’abord se présentait la maîtresse de la maison, madame Marron (aîné), laquelle devait présider le festin.

C’était une bonne grosse personne ; elle avait certainement franchi la quarantaine, mais nullement laissé de l’autre côté de cette frontière la prétention de séduire : du moins ses regards fort aiguisés l’affirmaient et tenaient le pied de guerre. Madame Marron (aîné), haute en couleurs, dépassant peut-être, dans l’envergure entière de sa personne, une mesure modeste de moyens de plaire, les développant, au contraire, avec une générosité prodigue, portait des boucles noires répandues en cascades le long de ses joues et ralliant sa ceinture d’un air fort agaçant. Cette dame avait une conversation vive, relevée d’expressions pittoresques et animée par l’accent marseillais. La maison était tenue au nom de Marron (aîné), comme on l’a appris déjà ; mais ce que les confidents les plus intimes de madame Marron (aîné) savaient sur le compte de cet époux, se bornait à dire qu’ils ne l’avaient jamais connu et n’en avaient entendu parler que par sa femme, qui, de temps en temps, de loin en loin, trahissait l’espoir de le voir enfin arriver. Fait plus certain, la belle maîtresse du grand hôtel de Colchide à Poti s’était fait longtemps remarquer à Tiflis, sous le nom de Léocadie ; elle y avait été modiste, et l’armée du Caucase entière, infanterie, cavalerie, artillerie, génie et pontonniers (s’il y en a ! ), s’était inclinée sans résistance sous le pouvoir de ses perfections.

— Je le sais bien, dit Assanoff à Moreno en lui racontant en gros ces circonstances, je le sais bien ! Léocadie n’est ni jeune, ni très-jolie ; mais que voulez-vous faire à Poti ? Le diable y est plus malin qu’ailleurs, et, songez donc ! une Française, une Française à Poti ! Comment voulez-vous qu’on résiste ?

Il présenta ensuite son camarade à un homme fort grand de taille, vigoureux, blond, avec des yeux gris-pâle, de grosses lèvres, un air de jovialité convaincue. C’était un Russe. Ce colosse souriait, portait un costume de voyage peu élégant, mais commode, et qui trahissait d’abord l’intention arrêtée d’éviter toute gêne. Grégoire Ivanitch