Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/299

Cette page n’a pas encore été corrigée

vous la verrez toujours, toujours, jusqu’aux derniers moments de votre vie, passer rapide dans les cieux que vous aurez contemplés alors, et jamais oubliés. Non ! Mohsèn ne devait plus perdre l’impression de ce soleil qui se couchait à sa droite, derrière un bouquet d’arbres ; et quand Djemylèh lui dit, avec l’accent le plus tendre :

— Pourquoi me regardes-tu ainsi ? Et qu’il lui répondit :

— C’est parce que je t’adore !

Et qu’elle ajouta avec un air de tête enivrant :

— Tu crois ?…

À ce moment, Mohsèn s’aperçut que la manche de Djemylèh avait un reflet bleu, et cette sensation lui resta comme empreinte avec le feu dans la mémoire, au milieu de son délire.

Cependant, dans le palais de Kandahar, dans la maison d’Abdoullah-Khan, au logis de Mohammed-Beg et chez Osman, tout était en confusion au sujet des deux amants. Les deux frères, suivis chacun de son monde, s’étaient rencontrés dans le bazar, et Mohammed, exaspéré par l’ignorance où il était du sort de son fils, avait attaqué le premier ; quelques passants avaient pris parti, des coups de mousquet et des coups de sabre avaient été échangés de part et d’autre ; les marchands, comme à leur ordinaire, et surtout les marchands hindous, s’étaient répandus en cris de détresse, et on eût cru, au bruit de la mousqueterie et au cliquetis des lames, et surtout aux clameurs aiguës qui se poussaient, que la ville était mise à sac. Il n’y eut pourtant personne de tué, et quand les gens du juge de police eurent réussi à séparer les combattants et à les renvoyer chacun de leur côté, il se trouva que les deux partis s’étaient à peine fait quelques égratignures. Cependant cette rencontre ne resta pas sans conséquences. Elle ébruita le fond de l’affaire. On sut par toute la ville que Mohsèn Ahmedzyy avait enlevé Djemylèh, sa cousine, et que les Mouradzyys leur avaient donné asile ; mais que le Prince ordonnait de livrer les coupables au père offensé. Là dessus, il y eut de grands partages dans les opinions. Les uns vinrent offrir leurs services à Mohammed, d’après cette