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étreintes d’une lutte si inégale et dominé par la pensée de celle qu’il aimait, eut tout d’abord l’instinct de se retourner vivement vers l’endroit où il l’avait cachée ; mais, elle était à côté de lui et lui tendait son fusil qu’il avait laissé dans le caveau. Cette action de femme soumise et dévouée, apportant au milieu du combat, une arme à son mari, plut à la foule rassemblée et parut impressionner plus favorablement encore le jeune cavalier qui avait pris le parti du faible. Il salua Mohsèn avec une courtoisie grave et lui dit :

— Béni soit Dieu qui m’a fait arriver à propos !

Et indiquant du doigt le corps du nayb expirant :

— Vous avez le bras ferme pour votre âge !

Mohsèn sourit froidement ; ce compliment l’enchantait ; il mit le pied sur la poitrine de son ennemi, avec la même indifférence affectée qu’il eût fait pour quelque reptile écrasé, et, sans plus s’en occuper autrement, répondit :

— Quel est le noble nom de Votre Excellence afin que je puisse la remercier comme je le dois ?

— Mon nom, répartit le cavalier, est Akbar-Khan et je suis de la tribu des Mouradzyys.

C’était à l’adversaire acharné de sa race que, pour le moment, Mohsèn devait la vie et cet adversaire ajouta, en élevant la voix :

— Mon père est Abdallah-Khan, et sans doute vous connaissez qu’il est le lieutenant favori et le ministre tout puissant de Son Altesse, que Dieu conserve !

Ainsi c’était non-seulement un homme d’une race héréditairement hostile, c’était le fils même du plus cruel des persécuteurs de sa maison qui venait, à la vérité, de sauver Mohsèn et Djemylèh, mais qui, de fait, les tenait entre ses mains, aussi serrés que le moineau le peut être dans les serres de l’autour.

Le fils de Mohammed-Beg s’était cru sauvé, au moins pour quelque temps, et son imagination rapide venait même de lui présenter dans un tableau délicieux, Djemylèh, reposée, calme, heureuse. Le tableau fut brutalement arraché de sa tête et en place la réalité odieuse se