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qui ne possédait rien. Je me suis adressée à toi. Tu as été un peu léger ; mais je te pardonne. Je sais que tu m’es tendrement attaché. Kérym me mettait sur la grande route de la misère. Abdoullah m’a faite riche. Je dois être sage à mon tour, et je lui serai fidèle jusqu’à la mort, tout en pensant à vous trois comme à des hommes… Enfin je t’en ai dit assez. Abdoullah est ton cousin ; aime-le ; sers-le ; et il fera pour toi tout ce qui sera possible. Tu penses bien que je n’y nuirai pas.

Elle me dit encore beaucoup de paroles affectueuses qui, dans le premier moment, me causèrent un redoublement de tristesse. Cependant, puisqu’il n’y avait pas de ressource, et je ne le comprenais que trop, je me résignai à ne plus être pour Leïla que le fils de son oncle.

Abdoullah, en sa qualité de marchand, avait souvent à faire à de grands personnages. Il leur rendait des services et avait du crédit auprès d’eux. Grâce à, lui, on me fit Sultan dans le régiment Khassèh ou Particulier, qui demeure toujours à Téhéran, dans le palais, monte la garde, porte l’eau, fend le bois et travaille à la maçonnerie. Me voilà donc capitaine, et je me mis à manger les soldats, comme on m’avait mangé moi-même, ce qui me donna une position très-honorable et dont je ne me plains pas.

Nous sommes les Gardes du Roi ; il a souvent été question de nous donner un uniforme magnifique, et même on en parle toujours. Je crois qu’on en parlera jusqu’à la fin du monde. Quelquefois on se propose de nous habiller comme les hommes qui veillent sur la vie de l’Empereur des Russes, et qui, à ce qu’il paraît, sont verts avec des galons et des broderies en or. D’autres fois, on veut nous habiller en rouge, toujours avec des galons, des broderies et des crépines d’or. Mais, vêtus ainsi, comment les soldats pourraient-ils se rendre utiles ? Et qui est-ce qui paierait ces beaux costumes ? En attendant qu’on ait trouvé un moyen, nos gens n’ont que des culottes déchirées et souvent pas de chapeaux.

Quand je me vis officier, je voulus vivre avec mes pareils et je fis