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— Oui ! mon frère, répliqua Abdoullah d’un air modeste. J’ai acquis quelque bien, et c’est ce qui m’a permis aujourd’hui de venir à ton aide, quand la malheureuse position où te trouvais m’a été révélée par ma femme.

— Par ta femme ! J’étais au comble de la surprise.

— Sans doute, Kérym ; n’ayant pas le moyen de l’entretenir suivant le mérite de cette créature adorable, a consenti à divorcer avec elle et je l’ai épousée.

Je ne fus pas trop content. Mais que pouvais-je faire ? Me soumettre à ma destinée. On n’y échappe pas. Bien souvent, j’avais eu occasion de reconnaître cette vérité. Elle venait me frapper encore une fois, et, je l’avoue, d’une manière qui me fut sensible. Je ne soufflai pas mot. Cependant je suivais Abdoullah. Quand nous fûmes arrivés près de la Porte-Neuve, il m’introduisit dans une fort jolie maison et me conduisit à l’enderoun.

Là, je trouvai Leïla assise sur le tapis. Elle me reçut très-bien. Pour mon malheur, je la trouvai plus jolie que jamais, plus saisissante, et j’avais des larmes qui me gonflaient le cœur. Elle s’en aperçut, et lorsque, après avoir pris le thé, Abdoullah, qui avait des affaires, nous eut laissés seuls, elle me dit :

— Mon pauvre Aga, je vois que tu es un peu malheureux.

— Je le suis beaucoup, répliquai-je en baissant la tête.

— Il faut être raisonnable, poursuivit-elle, et je ne te cacherai rien. J’avoue que je t’ai beaucoup aimé et que je t’aime encore ; mais aussi je n’ai pas été insensible aux bonnes qualités de Souleyman, la gaieté et l’entrain de Kérym m’ont ravie, et je suis pleine d’estime et d’attendrissement pour les mérites d’Abdoullah. Si l’on me demandait de déclarer quel est celui de mes quatre cousins que je préfère, je demanderais que des quatre on pût faire un seul homme, et celui-là, je suis bien sûre que je l’aimerais passionnément et pour toujours. Mais est-ce possible ? je te le demande. Ne pleure pas. Sois persuadé que tu vis toujours dans mon cœur. Je ne pouvais pas épouser Souleyman,