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— N’est-ce pas que vous autres gens de l’Iran, vous êtes plus bêtes que nos chevaux ?

— Oui, maîtresse, répondais-je avec humilité, c’est bien vrai. Dieu l’a voulu ainsi !

— Les Turkomans, continuait-elle, vous pillent, vous volent, vous emportent vous-mêmes, et vous vendent à qui ils veulent, et vous ne savez pas trouver un moyen de les en empêcher.

— C’est vrai, maîtresse, répliquais-je encore ; mais c’est que les Turkomans sont des gens d’esprit, et nous nous sommes des ânes.

Alors elle recommençait à rire aux éclats et ne s’apercevait jamais que son lait et son beurre diminuaient à mon profit. J’ai toujours remarqué que les gens les plus forts sont toujours les moins intelligents. Ainsi voyez les Européens ! On les trompe tant que l’on veut, et, partout où ils vont, ils s’imaginent qu’ils sont supérieurs à nous, parce qu’ils sont les maîtres ; ils ne savent pas et ne sauront jamais apprécier cette vérité que l’esprit est bien au-dessus de la matière. Les Turkomans se montrent exactement pareils. Ce sont des brutes comme eux.

Je fus employé par mes propriétaires à fendre du bois, à porter de l’eau, à conduire les moutons à la pâture. Quand je n’avais pas d’ouvrage, j’allais me promener à la campagne. Je m’étais fait quelques amis, et je chantais des chansons. Je savais aussi fabriquer des pièges pour prendre les souris et j’appris à quelques femmes à confectionner des plats persans que les hommes trouvaient admirables. On me récompensait, en me donnant du thé beurré et des galettes. Il y avait aussi assez souvent des noces et j’y dansais, ce qui faisait rire beaucoup toute l’assistance, qui, d’ailleurs, était de très-bonne humeur, et on peut bien comprendre pourquoi. Notre camp, les camps voisins et toute la nation étaient dans un état d’exaltation à cause de la victoire. Les prisonniers regorgeaient et on s’attendait à gagner gros avec eux. Ensuite, le premier mouvement d’humeur passé, toutes les veuves avaient été enchantées de leur situation, et il ne se pouvait pas qu’il en fût autrement, car une jeune fille turkomane ne vaut pas cinq tomans en or, et il faut des circonstances particulières