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serviteurs de l’Iran bien Gardé ! Depuis des siècles, nous nous efforçons par tous les moyens qui sont en notre pouvoir de prouver à l’auguste Gouvernement l’excès de notre affection. Malheureusement, nous sommes très pauvres ; nos femmes et nos enfants crient la faim ; les champs que nous cultivons ne rapportent pas assez pour les nourrir, et, si nous n’avions pas quelques occasions de réussir dans un petit commerce d’esclaves, ce qui ne fait de mal à personne, il nous faudrait expirer de misère nous et les nôtres. Pourquoi nous persécuter ?

— Tout ce que vient de nous exposer votre Excellence est de la plus exacte vérité, repartis-je. Pour nous, nous sommes de très-humbles soldats ; si on nous a envoyés ici, nous ne savons pas pourquoi, et, maintenant, déjà comblés des bontés de vos Excellences, nous osons vous prier de nous permettre de retourner à la sainte ville de Meshhed d’où nous sommes venus.

Le Turkoman s’inclina de la manière la plus aimable et me répondit :

— Plût au ciel que cela fût possible ! Mes compagnons et moi sommes tout prêts à vous offrir nos chevaux et à vous prier d’accepter mille marques de notre amitié. Mais jugez vous-mêmes de notre triste position. L’auguste Gouvernement nous a attaqués sans motifs, nous qui ne faisions de mal à personne, et en outre les vivres sont rares. Vous n’avez rien à manger ; nous, nous n’avons guère mangé depuis une semaine. Venez avec nous. Vous serez bien traités. Nous ne vous vendrons ni à Bokhara ni à Khiva. Nous vous garderons chez nous, et, si vos amis veulent vous racheter, nous serons tout prêts à accepter les rançons les plus raisonnables. Cela ne vaut-il pas mieux d’attendre paisiblement votre délivrance sous nos tentes, auprès d’un bon feu, que de risquer d’aller mourir de misère sur la route ?

Le vieux Turkoman avait la mine d’un brave homme. Ses camarades se mirent à nous parler de pain frais, de lait caillé et de mouton rôti. Il y eut une grande émotion parmi nous. Subitement, chacun jeta son fusil, et les ambassadeurs s’étant levés, on les suivit de plein gré.

Quand nous arrivâmes avec eux auprès des cavaliers, nous fûmes parfaitement accueillis ; on nous plaça au milieu de la bande, et,