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à mettre mon koulydjèh en gage, parce que, n’ayant pas d’argent aujourd’hui, j’aurai beaucoup de dettes demain, et, d’après cela, tu conçois que je ne saurais, même pour te faire plaisir, me priver de mon unique ressource.

— Alors, répliquai-je, en m’abandonnant au plus profond désespoir (car, vraiment, ce koulydjèh me ravissait, et je ne pensais qu’à cela), je suis un homme perdu, ruiné, abandonné de l’univers entier et sans personne qui prenne le moindre souci de mes peines.

Ces paroles cruelles émurent mon ami. Il commença à me raisonner ; il me dit tout ce qu’il put imaginer de consolant, continua à s’excuser sur son mariage, sur sa pauvreté notoire, sur mille autres choses encore, et, enfin, me voyant si désolé, il s’attendrit et me jeta ces paroles consolantes :

— Si j’étais sûr que tu me rendrais mon koulydjèh dans une heure !

— Par quoi veux-tu que je te le jure ? répondis-je avec feu.

— Tu me le rendras ?

— De suite ! Avant une heure ! Le temps de me montrer et de revenir ! Par ta tête ! Par mes yeux ! Par la vie de Leïla ! Par mon salut ! Puisse-je être brûlé comme un chien maudit pendant toute l’éternité, si tu n’as pas ton habit avant même de l’avoir désiré !

— Alors, viens.

Il me mena dans sa chambre, et je vis le magnifique vêtement. Il était jaune ! Il était superbe ! J’étais ravi ; je l’endossai vivement. Kérym s’écria que c’était un habit comme on n’en voyait pas, que le tailleur était un homme admirable, et que, certainement, il le paierait quelque jour par reconnaissance.

— Mais, ajouta-t-il, il n’est pas possible, sans déshonneur, de porter un tel habit avec des pantalons déchirés de toile bleue. Tiens ! voilà mes shalvars neufs en soie rouge.

Je les passai rapidement. J’avais l’air d’un prince, et je me précipitai hors de la maison. Je me promenai pendant deux heures dans tous les bazars. Les femmes me regardaient. J’étais au comble du bonheur. Je rencontrai alors deux garçons, engagés, comme moi, dans