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— C’est que je suis si pauvre, que je dois même l’habit que je porte ! Je jure sur ta tête que je n’ai pas été en état de le payer, bien qu’il ne vaille pas à coup sûr cinq sahabgrâns ! Comment donc pourrai-je payer à mon oncle la dot qu’il réclamera de moi ? S’il voulait se contenter d’une promesse !… Crois-tu que ce serait impossible ?

— Oh ! Impossible ! Tout à fait impossible ! répliqua Leïla en secouant la tête. Comment veux-tu que mon père donne pour rien une fille aussi jolie que moi ? Il faut être raisonnable.

En disant cela, elle se mit à regarder l’eau et à cueillir d’une main distraite quelques menues fleurettes qui couraient dans les herbes, le long de la rive ; en même temps, elle faisait une petite moue si gentille que je me sentis hors de moi. Cependant, je répondis avec sagesse :

— C’est un bien grand malheur ! Hélas ! Je ne possède rien au monde !

— Bien vrai ? dit-elle, et elle me jeta les bras autour du cou, me regardant d’un tel air en penchant sa tête de côté que, sans savoir comment et perdant tout-à fait l’esprit, je murmurai :

— J’ai trente tomans en or, enterrés à deux pas d’ici.

Et je lui montrai du doigt le tronc d’arbre au pied duquel j’avais enfoui mon trésor.

Elle se mit à rire, pendant qu’une sueur froide me coulait du front. — Menteur ! s’écria-t-elle en me donnant un baiser sur les yeux : Comme tu m’aimes peu ! Ce n’est qu’à force de prières que je t’arrache la vérité ! Maintenant va trouver mon père et demande-moi à lui. Tu lui en promettras sept, et tu lui en donneras cinq, en lui jurant que tu lui apporteras les deux autres plus tard. Il ne les verra jamais. Pour moi, je saurai bien lui en arracher deux que je te rapporterai et de cette façon là, je ne t’aurai coûté que trois tomans. Est-ce que tu ne vois pas combien je t’aime ? Je fus ravi de cette conclusion et m’empressai d’aller trouver mon oncle. Après deux jours de débats qui furent mêlés de bien des supplications, des serments et des larmes de ma part, je finis par réussir et j’épousai ma bien-aimée Leïla. Elle était si charmante, elle avait un art si accompli de faire sa volonté, (plus tard je sus comment elle