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supérieures dans son métier d’intendant, car on le vit graduellement passer d’un état de richesse relative à une opulence évidente. Un an ne s’était pas écoulé qu’il ne montait plus que des chevaux de prix ; il avait aux doigts des rubis, des saphirs, des diamants de la plus belle eau. Arrivait-il chez les principaux joailliers quelque perle d’une valeur peu ordinaire, on se hâtait de l’en avertir et il était rare qu’il ne devint l’heureux acquéreur du trésor. Les affaires de l’ancien gouverneur de Shyraz ayant mal tourné, le ferrash-bachi et Assad-Oullah-Bey se trouvèrent sans emploi. Ce ne fut pas pour longtemps ; Gambèr-Aly, devenu Gambèr-Aly-Khan, les prit à son service et il se déclara très-satisfait de leur zèle.

Aussitôt qu’il s’était vu dans une position heureuse, il n’avait pas tardé à faire venir ses parents. Malheureusement son père mourut au moment de se mettre en route. Le désespoir de Bibi-Djanèm éclata et renversa toutes les bornes ; elle se déchira le visage avec un tel emportement et poussa sur la tombe du défunt des cris si aigus, que, de l’aveu de ses amis on n’avait jamais connu dans le monde une femme aussi fidèle et aussi attachée à ses devoirs. Cependant elle rejoignit son fils, et fut charmée de le revoir beau et bien en point. Mais elle ne demeura pas dans le palais parce que, sans qu’on pût s’en expliquer la cause, une personne si accomplie ne plut pas à la princesse. Elle eut donc une maison pour elle seule et la choisit aux environs de la grande mosquée où, bientôt elle conquit la réputation la mieux méritée de dévote hors ligne et très au courant de ce qui se passait dans le quartier. Elle n’a jamais souffert, il faut le dire à sa gloire, qu’un tort du prochain restât ignoré, et, sous le rapport de la publicité la plus étendue donnée à tous les faits et gestes de ses voisins et voisines, elle resta une trompette incomparable.

Au bout de deux ans, la princesse non moins pieuse que Bibi-Djanèm, se sentit le désir de faire le saint pèlerinage de la Mecque, et, en ayant pris la résolution, elle déclara que l’intègre Gambèr-Ali-Khan, serait son mari de voyage. Le mari de voyage est, sans contredit, une des institutions persanes les plus judicieuses. Une femme de