Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/176

Cette page n’a pas encore été corrigée

toujours de belle humeur, malgré ses soucis, toujours leste et dispos, luttait contre deux ou trois de ses camarades, et, tour à tour les poursuivant, poursuivi par eux, il se trouva acculé contre l’échoppe d’un boucher. Un des joueurs, appelé Kérym, garçon faible et poitrinaire, prit, pour plaisanter, un des couteaux placés sur l’étal et en menaça Gambèr-Aly en riant ; celui-ci, sans malice, lui arracha l’instrument des mains, mais en se débattant avec lui, par une fatalité presque inexplicable, il l’atteignit dans le côté. Kérym tomba baigné dans son sang. Quelques minutes plus tard, il expirait.

L’innocent meurtrier, au désespoir, perdait complètement la tête ; les autres ferrashs, témoins de l’action et sûrs de ce qu’elle avait d’involontaire, s’empressèrent de le mettre à l’abri des dangers du premier moment. Ils le poussèrent dans l’écurie, et, tout courant, Gambèr-Aly s’en alla tomber contre la jambe droite du cheval favori de Son Altesse, bien décidé à ne plus sortir de cet asile inviolable pendant le reste de ses jours.

Au bout de deux heures, cependant, il était un peu calmé. Le sous-aide de cuisine lui avait confié, sous le sceau du plus grand secret, que le frère du mort avec deux cousins était venu au Palais. Ils avaient parlé au ferrash-bachi, et celui-ci, devant tout le monde, leur avait demandé comment ils entendaient faire valoir leurs droits. Ils avaient répondu qu’on leur donnerait le meurtrier pour qu’ils en fissent à leur guise ou bien 50 tomans. — 50 tomans ! avait répondu le ferrash-bachi d’un ton méprisant, 50 tomans pour le plus mauvais de mes hommes, qui serait mort de lui-même avant un mois ! Que votre bonté ne diminue pas ! Vous vous moquez du monde ! Si vous voulez 10 tomans, je les donnerai moi-même, pour qu’on ne fasse pas de peine à mon pauvre Gambèr-Aly.

Voilà ce que vint raconter le marmiton Kassem, et Gambèr-Aly se réjouit de tout son cœur de la tournure favorable que prenait son affaire. Il admirait l’aveuglement de son chef à son égard. Mais il se savait si aimable que, au fond, il concevait tout. Il causa longtemps