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je deviendrai vizir. En attendant, je n’aurai rien à faire que m’amuser tout le jour. Nous partons sous peu pour Téhéran, et Son Altesse a l’intention de me recommander au Roi.

Bibi-Djanèm serra son adorable fils dans ses bras. Lui trouvant un peu d’agitation, elle lui promit, pour le lendemain matin, un bol considérable d’infusion de feuilles de saule, préservatif merveilleux contre la fièvre, et, comme Mirza-Hassan-Khân avait rapporté à la maison dix sahabgrans, produit de la vente de deux encriers, elle préparait des pâtisseries feuilletées et un plat de kouftehs, boulettes de hachis, frites dans des feuilles de vignes, dont la perfection lui avait toujours valu une gloire incontestée. On mangea et on but, et la moitié de la nuit se passa au sein d’une joie parfaite.

Au matin, Gambèr-Aly, ayant pris son élixir et reçu pour recommandation maternelle de ne se laisser attraper par personne, alla reprendre ses fonctions au Palais.

C’est une chose admirable que la vérité ! Elle se glisse partout, au travers du mensonge, sans que les hommes puissent savoir comment. Le prochain départ du Prince-Gouverneur pour la capitale, annoncé par le jeune ferrash, qui n’avait sur ce point que les indices fournis par la fougue de son imagination, se trouva être parfaitement exact, et Gambèr-Aly fut tout étonné quand ses camarades lui annoncèrent qu’on s’en allait sous huit jours, attendu que le prince était rappelé et même remplacé, preuve nouvelle de la sagesse bien connue du gouvernement.

On ne s’amuse pas, dans ces pays-là, à compter minutieusement avec les mandataires du pouvoir. On les nomme, on les envoie ; ils recueillent le produit des impôts ; ils en gardent la plus grande partie pour eux, sous le prétexte que les récoltes ont été mauvaises, que le commerce ne va pas, que les travaux publics absorbent les ressources. On ne leur cherche pas de mauvaises chicanes et on reçoit pour bon ce qu’ils disent. Puis, au bout de quatre ou cinq ans, on les destitue ; on les fait venir ; on leur demande ce qu’ils préfèrent, ou rendre des comptes ou payer une somme d’argent indiquée. Ils