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acolyte à travers la foule et le fit pénétrer dans la cour. C’était un grand espace vide entouré de constructions basses exécutées en briques séchées au soleil, de couleur grise, relevées aux angles de cordons de briques cuites au four et dont les tons rouges donnaient à l’ensemble assez d’éclat. Ici et là, des mosaïques de faïence bleue, ornées de fleurs et d’arabesques, relevaient le tout. Par malheur, une partie des arcades étaient écroulées, d’autres ébréchées ; mais les ruines sont l’essentiel de toute ordonnance asiatique. Au milieu du préau s’étalaient une douzaine de canons avec ou sans affuts, et des artilleurs étaient assis ou couchés à l’entour ; des djelodàrs ou écuyers tenaient des chevaux, dont les croupes satinées étaient en partie couvertes de housses à fonds cramoisis et à broderies bigarrées ; ici, un groupe de ferrashs se promenait, la baguette à la main, pour maintenir un bon ordre qui n’existait pas ; plus loin, des soldats faisaient cuire leur repas dans des marmites ; des officiers traversaient la cour d’un air insolent, doux ou poli, suivant qu’ils se souciaient des regards attachés sur eux. On saluait celui-ci ; celui-la, au contraire, s’inclinait respectueusement devant un plus puissant ; c’était le train du monde, dans tous les royaumes de la terre, seulement avec une complète naïveté.

De la grande cour, Assad-Oullah, suivi de sa recrue, éblouï par tant de magnificence, pénétra dans un autre enclos, un peu moins vaste, dont le milieu était occupé par un bassin carré rempli d’eau ; les ondes se teignaient agréablement des reflets azurés du revêtement, formé par de grandes tuiles émaillées d’un bleu admirable. Sur les marges de ce bassin, s’élevaient d’immenses platanes, dont les troncs disparaissaient sous les enlacements touffus et plantureux de rosiers gigantesques couverts de fleurs fraîches et multipliées. En face de l’entrée basse et étroite par où les deux amis avaient pénétré, une salle très-haute, qu’un Européen aurait prise pour la scène d’un théâtre, car elle était absolument ouverte par devant et reposait sur deux minces colonnes peintes et dorées, montrait, pareil à une toile de fond et à des portants de coulisses, le plus attrayant, le plus séduisant