Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/148

Cette page n’a pas encore été corrigée

et le nez, à peine la matrone avait-elle réussi à saisir à travers les sanglots et les cris, le nom du coupable, qu’elle ne perdait pas une, minute ; elle ajustait son voile et se précipitait hors de sa porte, comme une trombe, secouant les bras en l’air et poussant ce cri :

— Musulmanes ! on égorge nos enfants !

À cet appel, cinq à six commères qui, mues par un esprit belliqueux, étaient accoutumées à lui servir d’auxiliaires dans les expéditions de cette sorte, accouraient du fond de leurs demeures et la suivaient en hurlant et en gesticulant comme elle ; en route, on se recrutait, on arrivait en force devant la boutique du coupable. Le scélérat voulait s’expliquer, on ne l’écoutait pas, on faisait main-basse sur tout. Les désœuvrés du bazar s’empressaient de se mêler à l’action, les gens de la police se jetaient dans la bagarre et cherchaient vainement à rétablir l’ordre à coups de pieds et de gaules. Ce qui pouvait arriver de plus heureux au marchand, c’était de ne pas être mis en prison ; car, une amende, il finissait toujours par la payer, s’étant permis de troubler la paix publique.

Insensiblement, Gambèr-Aly arriva à ce jour solennel où sa mère, interrompant ses ébats, lui passa un shalwàr ou pantalon, lui mit un koulidjêh ou tunique, une ceinture et un bonnet, et l’envoya à l’école. Il faut bien que tout le monde passe par là ; Gambèr-Aly le savait et se résigna. D’abord, il fréquenta l’établissement d’instruction de Moulla-Salèh, dont la boutique était située entre celle d’un boucher et celle d’un tailleur. Une quinzaine d’élèves, filles et garçons, se tenaient là, pressés avec le maître comme des oranges dans un panier, car l’espace était à peine de quelques pieds. On apprenait à lire et à réciter des prières, et, du matin au soir, les environs étaient ahuris par la psalmodie de la bande étudiante. Gambèr-Aly ne resta pas longtemps chez Moulla-Salèh, parce que cet illustre professeur ayant été conducteur de mulets de caravane, avant de se consacrer à l’enseignement public, avait la mauvaise habitude de taper très-fort sur ses élèves, quand ils se laissaient aller à des espiègleries à l’égard des passants, au lieu de donner toute leur attention à ses doctes avis.